Les Européens s’interrogent sur la politique migratoire du Maroc à leur égard

Les Européens s’interrogent sur la politique migratoire du Maroc à leur égard

Près de 900 migrants clandestins ont franchi la frontière entre le Maroc et Sebta entre le vendredi 17 février et les premières heures du lundi 20 février. En l’espace de 72 heures, le nombre de migrants qui ont pu entrer en Espagne équivaut donc à celui qui entre dans les deux villes de Sebta et Melilla en un an, si l’on se réfère aux statistiques de l’agence Frontex, chargée de la gestion et de la coopération aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (UE). Cela a créé la polémique en Europe.

En effet, plusieurs médias s’interrogent sur l’éventualité que le Maroc utilise la carte migratoire dans son bras de fer avec l’Union européenne au sujet du Sahara. « Derrière les passages de migrants, une manœuvre marocaine ? », titre ainsi l’hebdomadaire français l’Express. Se fondant sur les chiffres, le périodique explique qu’ « en deux jours au cours de l'été 2014, 1200 migrants avaient franchi la frontière vers les deux enclaves, après un différend entre Madrid et Rabat ». L’Express suggère que Rabat ouvre et ferme les vannes de la migration des Subsahariens vers le Vieux Continent en fonction des aléas politiques.

De son côté l’AFP va dans le même sens en citant une source diplomatique marocaine bien placée : « Nous avions fait le choix d'un partenariat privilégié [avec l'UE]. Nous n'en subissons aujourd'hui que des conséquences négatives. Sous prétexte de cette relation privilégiée, l'Europe agit comme si nous étions dans son giron, ou même son sujet. Elle agit avec une vision moralisatrice et s'arroge le droit de juger ».  

Vu d’Espagne, le Maroc « joue » avec la question sensible des frontières. « Ces assauts sur la frontière de Ceuta font craindre une nouvelle crise migratoire autorisée par le Maroc », titre le quotidien conservateur madrilène ABC. Mais ce n’est pas la position du le gouvernement espagnol qui s’est montré plus modéré. « Le Maroc a fait tout ce qu’il pouvait. Mais il y a parfois des batailles qui ne sont pas faciles à mener », a ainsi déclaré le chef du gouvernement, Mario Rajoy, dans une conférence de presse donnée à l’issue du sommet franco-espagnol, le lundi 20 février, à Malaga. Et d’ajouter : « Notre relation avec le Maroc est magnifique et elle profite à tous les Européens ». Un signal clair en direction de Bruxelles, rudoyé récemment par Rabat.

Le 6 février, dans un communiqué au ton particulièrement rude, le ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch avait prévenu l’UE que toute atteinte à la souveraineté du Maroc sur la question du Sahara dans l’accord agricole l’exposerait à...

« un véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d’un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir ». Plus tard, dans une conférence tenue à Agadir, il avait expliqué que « les Européens doivent régler leurs problèmes entre eux », en allusion à la récente sortie d’un commissaire européen qui avait laissé entendre que les négociations avec le Maroc se feraient sur la base de la dissociation du royaume et de ses provinces sud.

Mais accuser le Maroc de manœuvrer est aussi une ruse facile des Européens pour exercer leur pression sur Rabat et présenter le Maroc sous un aspect défavorable de maître-chanteur. En effet, un ministre marocain déclare que « dire que nous avons fermé les yeux sur ces entrées massives est absurde et dénué de tout fondement. Si le Maroc veut vraiment faire pression sur l’UE, il aurait pu y aller franco, comme il avait fait en décembre 2015, lorsqu’il a décidé de geler sa coopération avec elle (suite au verdict du Tribunal européen annulant l’accord agricole, ndlr) ».

Pour sa part, l’universitaire Khadija Mohsen Finan, enseignante-chercheure à l’université Paris-1, a expliqué que « toute la politique extérieure du Maroc est conditionnée par l’affaire du Sahara occidental. Si l’UE n’appuie pas le Maroc sur le Sahara occidental et ne ferme pas les yeux sur les produits venant de cette région, alors le pays ouvrira et fermera les frontières à sa guise ».

Et donc, de fait, il est tout à fait normal, voire même logique, que le royaume puisse exercer cette pression sur Bruxelles. On ne peut être alliés asymétriques, dans le sens qu’une partie tire profit d’un partenariat avec l’autre partie, à laquelle elle conteste son intégrité territoriale.  Et pourtant, le Maroc a déployé une ceinture sécuritaire allant de Tanger à Oujda, un dispositif qui met en œuvre plus de 20.000 éléments des forces de l’ordre, pour un coût de 250 millions d’euros par an, selon notre confère Le360, alors que la contribution de l’Europe est quasi nulle, affirme une source au sein du ministère des Affaires étrangères à Rabat. Pour rappel, la Turquie perçoit plus de 2 milliards d’euros pour endiguer les flux migratoires qui parcourent son territoire en direction de l’Europe.

Le royaume a également régularisé quelque 25.000 migrants en 2014, et une seconde phase est en cours, et il est donc dans son bon droit de réclamer un renvoi d’ascenseur, surtout que les pays européens sont en crise et que le Maroc, avec sa nouvelle politique africaine, est en mesure de leur ouvrir des marchés dans son continent.

Aziz Boucetta

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