Le jeu (et la communication) trouble d’Abdelilah Benkirane

Le jeu (et la communication) trouble d’Abdelilah Benkirane

Fouad Ali al Himma s’est-il rendu, ou non, au domicile d’Abdelilah Benkirane ? C’est la question qui est sur toutes les lèvres, du moins celles des gens s’intéressant encore à l’interminable formation du gouvernement… Pas de communication officielle, mais un battage dans les médias proches du PJD, avec des versions différentes à chaque fois. Les raisons de cette communication de Benkirane sont ailleurs qu’on ne le pense.

Dans al3omk, donc, un article daté lundi 23 janvier explique que la discussion entre al Himma et Benkirane a eu comme objet les concertations pour la formation du gouvernement. Le conseiller aurait ainsi assuré au chef du gouvernement qu’il ne devait pas présenter sa démission, et qu’il devait s’armer de patience pour aboutir dans ses tractations avec ses interlocuteurs, et à leur tête le président du RNI Aziz Akhannouch.

Puis, le lendemain mardi 24, Mohamed Yatim, parlementaire et dirigeant PJD, indique dans un statut sur sa page Facebook que lui, en sa qualité de membre du secrétariat général du PJD, n’avait jamais entendu parler de cette visite. Aujourd’hui 25 janvier, le même Yatim revient sur ce statut et le complète en expliquant qu’il avait dit ne pas être informé de cette visite, et non qu’elle n’avait pas eu lieu, ajoutant que tout ce qui s’est dit autour d’elle est inexact, ou au moins non établi.

Akhbar Alyoum développe une autre thèse, dans son édition datée de ce mercredi 25 janvier, et qui est qu’al Himma s’est rendu chez Benkirane, en compagnie d’Omar Azziman, pour évoquer le communiqué du chef du gouvernement désigné sur la polémique courant sur le rapport de l’éducation islamique à la philosophie. Selon le même quotidien, les échanges ont basculé d’une manière « transversale » sur le gouvernement, mais tout à fait fortuitement…

Récapitulons : Al3omk est un site (très) proche du PJD, et il rapporte l’information, avec des détails sur la teneur des discussions ; le lendemain, Yatim (porte-voix de Benkirane)  dément tout cela avec un certain mépris. Mercredi, Akhbar Alyoum, connu pour sa proximité avec Benkirane, publie un article barrant sa Une  et intitulé « les détails de la rencontre entre al Himma, Azziman et Benkirane ». Cacophonie et confusion…

La question est de savoir qui a dit à Al3omk et à Akhbar Alyoum ce qui s’est passé entre al Himma, Azziman et Benkirane. On peut douter, connaissant les coutumes plutôt discrètes des membres du cabinet royal, que l’un des deux conseillers se soit confié à ces deux médias. Reste Benkirane…et pour rappel, lors de la première entrevue entre le même Benkirane et...

Akhannouch, il avait été convenu entre les deux hommes – comme on l’a appris plus tard – que leur discussion devait rester confidentielle, avant qu’elle ne se retrouve étalée le lendemain dans la presse (Akhbar Alyoum entre autres…). Benkirane toujours…

Dans l’affaire de cette rencontre entre le(s) conseiller(s) du roi et le chef du gouvernement désigné, il y a eu une cacophonie médiatique, alors même que si elle a eu lieu, cette réunion ne devait pas être médiatisée. On rappelle que la rencontre entre les deux conseillers du roi Omar Kabbaj et Abdeltif Menouni, le 24 décembre, s'était tenue à la présidence du gouvernement et avait été donc annoncée par le cabinet royal qui, lorsqu’il veut faire savoir un événement, en fait un communiqué officiel. On peut penser que cette dernière rencontre entre al Himma et Benkirane (ailleurs que dans le bureau du chef du gouvernement) devait rester confidentielle, mais qu’elle a été éventée par Benkirane dans une confusion médiatique qui démontre une communication non maîtrisée.

Dans le fond, on apprend qu’al Himma aurait dit à Benkirane qu’il ne doit pas démissionner. Lire que le roi souhaite le garder comme chef du gouvernement. Les « fuites » organisées ont donc comme objectif de faire savoir cette volonté royale au bon peuple, mais aussi et surtout aux cadres du PJD qui commencent à s’impatienter, aux ambitions qui commencent à s’afficher, et aux inquiétudes qui commencent à poindre, avec les dernières rumeurs sur l’éventuelle nomination d’Aziz Akhannouch, voire de Meriem Bensalah Chaqroun, qui ne semblent même pas être au courant du glorieux avenir qu’on leur prête…

Or, on sait de source sûre à Panorapost que le roi Mohammed VI tient à ce que Benkirane réussisse à former sa majorité et son gouvernement, au nom de la méthodologie démocratique. Et si nous le savons, Benkirane le sait aussi. On peut en conclure que les « fuites » qu’il a organisées ont pour objectif de redorer son blason, passablement terni par la longueur des tractations et par ses positions élastiques dans les négociations : refuser l’UC au gouvernement avant de l’accepter, le communiqué du « game over » (intaha lkalam) avant qu’il ne contacte Akhannouch aussitôt après, le refus de Malki au perchoir avant la décision du PJD de ne présenter aucun candidat contre lui…

Question : Comment faire confiance à un homme qui trahit des secrets, ou même des confidences ? Question subsidiaire : Comment réagir quand cet homme se trouve être le chef du gouvernement sortant et désigné pour le rester ? C’est ce qui arrive avec M. Abdelilah Benkirane.

Aziz Boucetta

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