L’offensive marocaine en Afrique relevée par l’ONU dans sa revue

L’offensive marocaine en Afrique relevée par l’ONU dans sa revue

Entamée timidement en 2000 avec l’annulation des dettes des pays les moins avancés du continent, le Maroc s’est résolument lancé dans une offensive multidimensionnelle en Afrique. Depuis 2011, économie, politique, sécurité, religion, sont au centre de la nouvelle politique africaine de Mohammed VI. Cela a été remarqué par les grandes puissances mondiales, et cela est aujourd’hui souligné par la revue de l’ONU, dans un article intitulé « Union Africaine : l’offensive marocaine », et donc voici l’intégralité.

Lentement, progressivement, le Maroc s'affirme comme une force économique majeure en Afrique subsaharienne, et envisage même de réintégrer l'Union africaine (UA), qu'il a quittée il y a plusieurs décennies.

En juillet dernier, le roi Mohammed VI du Maroc a fait part aux dirigeants africains réunis au sommet de l'UA à Kigali au Rwanda du souhait de son pays de rentrer au bercail. Deux mois plus tard, le royaume remettait officiellement sa demande de réintégration à l'organisation continentale, entamant un processus qui pourrait conduire à sa réadmission lors du  prochain sommet de l'UA à Addis-Abeba, en janvier 2017.Le Maroc a quitté l'ancienne Organisation de l'unité africaine (prédécesseur de l'UA) en 1984 pour protester contre l’attribution de sièges au Front Polisario, admis comme représentant de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), une ancienne colonie espagnole à l'ouest du Sahara, que le Maroc considère comme partie intégrante de son territoire. La RASD conteste la position du Maroc et 30 ans plus tard, le conflit n'a toujours pas été réglé.

En expliquant la décision du Maroc de rejoindre l'UA, le roi a déclaré: « Quand un corps est malade, il est plus facile de le soigner de l'intérieur que de l'extérieur.  »

Depuis son départ de l'UA, le royaume a développé des liens économiques avec de nombreux pays du continent, principalement par le biais du commerce et des investissements. Il cherche désormais à renforcer ces liens et à régler la question non résolue du Sahara occidental.

Ambition continentale

« Nous sommes Arabes, mais aussi Berbères et Maghrébins », explique Brahim Fassi Fihri, président et fondateur de l'institut Amadeus, un think-tank marocain, à Afrique Renouveau.

Évoquant l'identité multiculturelle de son pays, essentiellement composé de groupes ethniques berbères et maghrébins, il soutient que la décision du Maroc de quitter l'organisme régional il y a trois décennies fut une  « erreur stratégique ». Pourtant, « l'Afrique est notre patrie  naturelle, poursuit-il. Nous avons peut-être quitté une organisation, mais nous n'aurions jamais pu quitter le continent. »

En signe de solidarité politique avec l'Afrique, la compagnie aérienne nationale, Royal Air Maroc, a maintenu ses vols réguliers vers l'Afrique de l'Ouest au plus fort de l'épidémie d'Ébola, il y a deux ans, alors même qu’à l'exception de Brussels Airlines, toutes les compagnies aériennes suspendaient leurs vols vers les pays touchés – Guinée, Libéria et Sierra Leone – par crainte de la contagion.

La décision s'appuyait  sur des raisons humanitaires et non commerciales – une solidarité confraternelle « reflétant l'engagement constant du royaume envers l'Afrique », a déclaré à l'époque un porte-parole de la compagnie à l'Agence france-presse (AFP).

La compagnie aérienne a élargi son réseau à travers le continent. Au cours de la dernière décennie, ses vols vers les destinations africaines sont passés de 14 en 2007 à 32 en 2016.

Dans une certaine mesure, l'histoire du transporteur aérien marocain illustre de manière éloquente  l'ambition d'expansion économique du pays en Afrique.

Entre  2004 et 2014, le commerce du Maroc avec le reste du continent a augmenté en moyenne de 13 % par an (3,7 milliards de dollars), dont 42 % avec l'Afrique subsaharienne. Cela ne représente que 6,4 % du commerce global du royaume sur cette même période, selon un rapport du gouvernement intitulé Relations Maroc-Afrique : l'ambition d'une nouvelle frontière.

Premier investisseur

Le changement le plus remarquable a cependant été l'investissement direct du Maroc en Afrique. Selon le Rapport sur l'investissement dans le monde 2016 de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), le royaume y a investi quelque 600 millions de dollars en 2015. Le Mali voisin se taille la part du lion, suivi de la Côte d'Ivoire, du Burkina Faso, du Sénégal et du Gabon.

Au cours de la décennie qui s'est achevée en 2016, les investissements marocains en Afrique subsaharienne représentaient 85 % de l'ensemble de ses stocks d'investissements étrangers directs (IED), selon les données du Ministère marocain des finances et de la Banque africaine de développement.

« Les Marocains se sont affirmés comme investisseurs sur le continent en...

lançant 13 investissements intra-africains, ce qui représente le plus haut niveau d’investissement du continent en plus d'une décennie », soulignait en 2015 un rapport d'enquête du cabinet de conseil financier Ernst & Young.

Pour Ernst & Young,  l'intérêt croissant porté par le  Maroc à l'Afrique subsaharienne s'explique par le fait que « les entreprises marocaines regardent vers l'Afrique subsaharienne alors même que  leur pays devient une plateforme d'exportation vers d'autres pays africains ».

Les investissements marocains se concentrent principalement dans les secteurs de la banque et des télécommunications – secteurs qui, en 2013, représentaient 88 % de ses stocks d'IED en Afrique subsaharienne.

La principale banque du pays, le groupe Attijariwafa Bank, ainsi qu'une partie de la Société nationale d'investissement (SNI), qui compte 7,4 millions de clients et plus de 16 000 employés, interviennent dans 10 pays d'Afrique subsaharienne : le Cameroun, la République du Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la Guinée-Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Togo.

Le groupe Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE) est présent dans 18 pays, principalement en Afrique de l'Ouest, du Centre et de l'Est, à travers la Banque d'Afrique, sa filiale. Maroc Telecom, la première compagnie marocaine de téléphonie, a des activités sous différents noms (dont Moov en Afrique de l'Ouest francophone) dans 11 pays africains, comme le Burkina Faso et le Mali.

Destination privilégiée

Au-delà de ces secteurs traditionnels, les entreprises marocaines se sont également lancées  dans l'assurance. Le Saham Insurance Group a ainsi commencé à mener des activités dans 10 pays africains en 2010 et continue de se développer sur toute l’Afrique, plus récemment avec l'acquisition en 2015 de Continental Reinsurance Plc, au Nigéria.

Pendant de nombreuses années, ce sont les pays d'Afrique de l'Ouest et dans une certaine mesure, les pays d'Afrique centrale qui ont été privilégiés par les investissements marocains en Afrique subsaharienne. Dans sa lettre à l'UA, le roi  explique que « l'implication importante des opérateurs marocains et leur engagement fort dans les domaines de la banque, de l'assurance, du transport aérien, des télécommunications et du logement sont tels que le royaume est aujourd'hui le premier investisseur en Afrique de l'Ouest ». Il ajoute : « Mon pays est déjà le deuxième plus grand investisseur du continent et nous avons pour  ambition  d'être le premier ».

En octobre dernier, le roi s'est rendu en Afrique de l'Est et en Éthiopie alors que le Rwanda et la Tanzanie s'apprêtaient  à signer des accords commerciaux. Pour certains observateurs, les motivations de cette incursion marocaine sur le continent sont strictement économiques. « Plusieurs entreprises marocaines parient sur leur croissance en Afrique subsaharienne », explique Brahim Fassi Fihri à Afrique Renouveau.

Poids politique

Mais pour d'autres analystes comme Amine Dafir, l'intérêt économique croissant généré par le Maroc sur le continent permet de renforcer l'influence perdue par le pays du fait de son retrait  de l'UA.

Le Maroc est soutenu dans sa demande de rejoindre l'UA par un groupe de 28 pays africains, qui représentent plus de la moitié des suffrages nécessaires (27) pour être admis au sein de l'organisation. Les pays favorables à l'admission du Maroc ont écrit une lettre à l'UA demandant la suspension de l'adhésion de la RASD jusqu'à ce que les questions relatives à la légalité de son existence soient résolues par le Conseil de sécurité des Nations Unies. « Notre demande s’appuie sur le droit international », explique ainsi le président sénégalais Macky Sall, dont le pays est l'un des signataires de la lettre. Ces trois dernières années, le Roi du Maroc, qui voyage souvent avec un entourage d'hommes d'affaires, s'est rendu dans plusieurs pays africains, dont la Côte d'Ivoire, le Gabon, la Guinée-Bissau, le Mali et le Sénégal. En plus d'être d’ardents défenseurs du royaume, ces pays sont aussi les cinq premières destinations de l'IED marocain en Afrique subsaharienne.

En novembre, le Roi a invité  30 dirigeants africains en marge du sommet sur le changement climatique de Marrakech, pour « coordonner les positions des pays africains et parler d'une seule voix pour les défendre », a déclaré un haut diplomate marocain à l'AFP. L'AFP souligne aussi qu’accueillir le sommet a été un coup diplomatique pour le royaume dans sa quête d’influence en Afrique.

Alors que le Maroc poursuit des démarches pour être réadmis au sein de l'UA, le directeur de l'Institut marocain des relations internationales, Jawad Kerdoudi, considère ces efforts comme une « victoire diplomatique issue d'une stratégie délibérée qui privilégie l'action  ».  

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