« Vous êtes capables de lire un communiqué ? Alors lisez-le !… » (Abdelilah Benkirane)

« Vous êtes capables de lire un communiqué ? Alors lisez-le !… » (Abdelilah Benkirane)

C’est par ces mots que le chef du gouvernement a répondu aux journalistes qui le pressaient de questions sur la formation du gouvernement et le sort y réservé à l’Istiqlal. Cela se passait ce mardi 3 décembre en milieu de soirée, à l’issue d’un Secrétariat général du PJD consacré au gouvernement et aux suites du Conseil national (CN) de l’Istiqlal.

Toute la journée de ce mardi, on ne parlait que de cela, dans le landerneau médiatique et le microcosme politique. Le PJD et Benkirane allaient enfin régir aux décisions de l’Istiqlal, prises en CN le 31 décembre 2016, et qui a « libéré » le chef du gouvernement de sa promesse envers Hamid Chabat et son parti.

Quand Abdelilah Benkirane sort, étroitement encadré par ses gardes du corps, il est assailli par les journalistes, mais il se montre plus froid qu’à son habitude, leur lançant « si je voulais faire une déclaration, nous n’aurions pas rédigé un communiqué… ». Insuffisant, comme réponse… alors on lui demandé quel est le sort et le rôle de l’Istiqlal dans la future majorité.

Là, le chef du gouvernement marque un temps d’arrêt, et dit ceci : « excusez-moi, Messieurs les journalistes, vous avez un niveau intellectuel et une connaissance de la politique qui vous permettent de lire le communiqué, alors lisez ce communiqué, il comporte toutes les réponses !... « Et dans la langue du peuple, ça donne quoi ? », demande un journaliste. Benkirane ne daigne pas répondre. Inédit pour un homme qui aime tant s'exprimer devant des micros...

Signe de nervosité… Pendant qu’il couvrait l’événement et qu’il filmait l’entrée du siège du PJD, un confrère de Medias24 a été approché par un des officiers de sécurité du chef du gouvernement, qui lui a demandé sa carte de presse, et qui a insisté – fort poliment, il faut le reconnaître – pour la voir…Assez inhabituel.

Alors que dit ce communiqué ?

1/ Retour sur les conclusions du CN de l’Istiqlal : le PJD revient sur les dernières déclarations de Chabat, et « ce qu’elles ont produit comme données nouvelles et comme situation complexe ». Puis, citant de larges extraits du communiqué final du CN istiqlalien, le parti de Benkirane insiste, sur « la volonté de l’Istiqlal de soutenir fortement, effectivement  et techniquement le PJD dans l’action politique en général, et de se considérer comme partie intégrante de la majorité parlementaire, quelles que soient les évolutions de la question de la formation du gouvernement ».

En clair, cela signifie une alliance politique, un pacte, entre le PJD et l’Istiqlal, en vue de conférer une position de force à Benkirane dans ses tractations à venir avec Aziz Akhannouch. Le PJD dispose donc, en plus de ses  125 députés et des 12 du PPS, des 46 élus de l’Istiqlal, ce qui fait au total 183 voix à la Chambre des représentants, pour une majorité de 198. L’objectif est de reléguer Akhannouch à une position d’appoint, et de réduire ses exigences à des demandes d’appoint aussi. Mais les choses sont plus compliquées…

Même si Chabat est aujourd’hui rudement désavoué par les siens et par ses aînés du parti, Benkirane s’attache à lui, oubliant ou feignant d’oublier qu’il l’accusait des pires turpitudes voici seulement quelques mois. Cela arrive certes en politique, où la morale n’est pas la vertu cardinale, mais pas à ce niveau…

Or, ce faisant, Benkirane et le PJD commettent une lourde faute politique car Chabat a déjà un pied dehors, et il est pratiquement certain maintenant qu’il ne sera pas reconduit par le Congrès de mars prochain. Les dirigeants historiques et les grands technocrates de l’Istiqlal, réunis chez et par leur chef Boucetta, feront en outre tout ce qui en leur pouvoir – qui est considérable – pour empêcher...

que Chabat ne contrôle les travaux du futur Congrès et de son Conseil national. Tout l’enjeu de la bronca istiqlalienne anti-Chabat est là : empêcher une fusion de fait entre PJD et Istiqlal.

2/ Satisfaction du PJD de la position adoptée par l’Istiqlal. « Le PJD se félicite des messages politiques explicites contenus dans le communiqué final du CN de l’Istiqlal, et lui sait gré d’avoir pris en compte les évolutions de la scène politique et d’avoir privilégié l’intérêt supérieur de la nation », en plus d’affirmer son estime pour les mots retenus pour qualifier le PJD et son secrétaire général, qui a fait montre de fermeté pour la participation de l’Istiqlal au prochain gouvernement.

3/ Le PJD apprécie la position de l’Istiqlal « de se considérer comme partie intégrante de la future majorité, nonobstant sa participation ou non au gouvernement, inaugurant ainsi une nouvelle ère d’alliance des forces nationales en vue de relever les défis internes et externes ».En clair, cela veut dire deux choses : d’abord, une certaine forme de vassalisation de l’Istiqlal et de soumission au PJD (bien plus fort sur les plans politique, organisationnel et électoral), et ensuite, une posture agressive contre le « tahakkoum ».

Le mot n’est pas cité mais il est implicite : « Cette position de l’Istiqlal à l’égard du PJD est historique, émanant d’un parti historique, et sera le fondement d’une collaboration étroite entre les deux formations en vue du renforcement de la démocratie et pour protéger l’autonomie de la prise de décision au sein des partis, partant de la conviction commune et partagée que servir la nation signifie se positionner dans  l’histoire et non dans  le gouvernement ou ailleurs ».

La charge est lourde. « Renforcer la démocratie » indique qu’il n’y a pas de démocratie, « protéger l’autonomie de décision des partis » est une attaque contre les Akhannouch et autres, accusés de « rouler » pour d’autres, que l’on devine aisément… Enfin, être présent au gouvernement n’est pas nécessairement servir le pays… Le PJD prend donc son envol, engage un bras de fer contre l’Etat, dans la perspective de s’accaparer le pouvoir absolu au sein du gouvernement, outrepassant la constitution, qui confère de larges pouvoirs au roi.

4/ Le secrétariat général donne mandat à Benkirane pour « accélérer les tractations pour la formation du gouvernement,  à la lumière des données politiques fournies par les résultats électoraux du 7 octobre et en prenant en considération les principes et valeurs du parti ».

Cela signifie que le PJD est toujours attaché à la participation de l’Istiqlal au gouvernement et, à défaut, à la prise en compte de sa force parlementaire dans sa future majorité. L’Istiqlal ne sera donc pas au gouvernement, mais Aziz Akhannouch devra bien compter sur l’alliance de fait entre le PJD et l’Istiqlal, qui sera ainsi partie prenante des réunions de la future majorité. Et tout cela, Benkirane le dira à Akhannouch lors de leur prochaine rencontre, prévue ce mercredi 4 septembre, ainsi que l’a affirmé le chef du gouvernement.

Sur la forme, Benkirane est connu pour rechercher en permanence la présence des caméras et des journalistes, devant lesquels il fait son show habituel. Cette fois-ci encore, il n’a pas dérogé à sa règle, mais il a mis à profit la présence des journalistes et des objectifs pour adresser son message qui, en creux, dit ceci : « Je suis mécontent de la tournure des événements, mais je viens de former une alliance de fer avec l’Istiqlal, pour combattre ceux qui se reconnaîtront dans le communiqué »… Et pour bien marquer les non-dits qu’il y a dans ce communiqué, il évoque le « niveau intellectuel et politique » des journalistes, et, au-delà, celui des véritables destinataires de ce message, à savoir les dirigeants politiques du pays, palais compris.

Aziz Boucetta

                                                                       

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