Hamid Chabat, chronique d'une mort politique prématurée et brutale
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- 28 décembre 2016 --
- Maroc
Hamid Chabat est ancien secrétaire général de l’UGTM, et ancien maire de Fès. Il est fort probable que bientôt, il devienne aussi ancien secrétaire général de l’Istiqlal. L’homme a toujours frôlé les interdits, bravé les dangers et taquiné la mort politique. Aujourd’hui, il semble avoir mal calculé son coup et risque de tout perdre pour avoir voulu récupérer un peu de ce qu’il a volontairement perdu… Chronique d’une mort prévue…
1/ Chabat chef de l’UGTM et de l’Istiqlal.
Depuis son accession mouvementée à la tête de l’Istiqlal, suite à une lutte homérique contre le « légitime » Abdelwahed el Fassi, « fils de… » et porté par le Clan, Hamid Chabat joue à l’électron libre. Mais avant sa conquête du parti, il avait pris d’assaut en 2009 le syndicat du parti, par milices interposées et colosses qui l’ont imposé.
Evidemment, le Clan des Fassis, emmenés par celui des El Fassi, ne voyait pas cela d’un bon œil. Un roturier dans un fauteuil d’aristocrate, c’’est assez inédit, même au Maroc, et crée toujours des remous, même au Maroc. Le génome de l’Istiqlal est ainsi fait : le parti fut, est, et restera entre les mains du Clan, au risque de s’effriter, puis de se déliter, si ce n’est plus le cas. Comme aujourd’hui.
Aussitôt après l’élection de Chabat au secrétariat général du parti, le courant « bila haouada » des el Fassi est né pour mener la lutte contre lui et il s’en suivit une longue série d’épisodes tous plus inamicaux les uns que les autres, judiciaires, médiatiques, familiaux, et parfois même politiques.
2/ La sortie du gouvernement.
Avant de s’en aller du secrétariat général de l’Istiqlal et de se laver les mains de la suite des événements, Abbas el Fassi avait réussi sa sortie, en ne sortant qu’après avoir assuré le maintien de son parti et des siens au gouvernement. Mais sitôt arrivé à la tête du parti, Hamid Chabat n’a eu de cesse de saboter l’action exécutive, de saborder la cohésion des composantes de la majorité, et de saper les fondements du gouvernement. D’attaques en critiques et de piques en polémiques, le patron de l’Istiqlal irritait de jour en jour le chef du gouvernement qu’il menaçait à chaque instant d’abandonner en cours de route. Et c’est ce qui a été finalement fait, en novembre 2013, les ministres istiqlaliens– à grand regret et la mort dans l’âme – ayant été obligés de quitter leurs fauteuils gouvernementaux.
C’était la grande faute de Chabat. L’Istiqlal est un parti de gouvernement et la chaise vide est, dans la forteresse, synonyme de forfaiture. A l’exception du vieux routier roublard qu’est Mohamed Louafa qui a refusé de démissionner du gouvernement, les autres ministres ont dû se résigner à repartir à leurs affaires, ou à en chercher. Nizar Baraka avait été désigné par le roi pour être ce qu’il est toujours, un homme à sa place naturelle de président du Conseil économique, social et environnemental.
En sortant son parti du gouvernement, Chabat s’était fait de solides ennemis au sein de l’Istiqlal. Les anciens ministres, ceux qui aspiraient à le devenir, ceux qui gravitaient autour des premiers ou des seconds, et enfin ceux qui prédisaient les catastrophes à venir avec un tel homme à une telle fonction. Les anciens, comme Mhamed Boucetta, étaient consternés, et les nouveaux, comme son numéro 2 et président du Conseil national Taoufiq Hjira est parti s’enfermer, boudeur et affligé, chez lui.
Aujourd’hui 27 décembre, l’ancien patron du parti Abbas el fassi est revenu par communiqué sur cette sortie calamiteuse et l’a qualifiée de… calamiteuse.
3/ L’opposition.
L’homme Chabat s’est distingué par deux actions d’éclat, qui ont pourtant terni à jamais sa réputation. La première est la désormais (tristement) célèbre marche des ânes, quand il avait fait défiler en 2013 en tête de cortège ces si gentilles et néanmoins si méprisées bêtes, avec des cravates, symbolisant… le chef du gouvernement. C’était l’acte de trop (ci-contre)… Ensuite, lorsqu’il s’était interrogé le plus solennellement du monde, à la tribune du parlement, sur les liens entre le même chef du gouvernement et, simultanément, les services israéliens, Daech et le front al-Nosra (al-Qaïda).
On peut apprécier ou pas Abdelilah Benkirane mais il est le chef respectable d’un parti qui mène le gouvernement, et il est aussi chef du gouvernement et second personnage du royaume par ordre protocolaire.
Dans la foulée, Chabat met tout en œuvre pour faire reculer Benkirane sur la réforme des retraites mais ses actions syndicales, même avec ses homologues, fait pshhiiiit et la réforme passe. Un autre clou est enfoncé dans le cercueil (politique) de Chabat.
Chabat commence à faire désordre, en disant les choses et leur contraire, en mêlant le ridicule à l’ubuesque, le loufoque à la totale inculture politique qui est la sienne. Il dérange, désormais…
4/ Les élections du 4 septembre 2015.
Chabat perd tout, d’un coup. Il mord la poussière aux élections communales de la ville de Fès dont il a été maire durant 12 ans, puis échoue à se faire élire à la tête de la présidence de la Région Fès-Meknès. En Conseil de gouvernement fin septembre 2015, le ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad fait une communication, dans laquelle il révèle que « le secrétaire général de l’Istiqlal a voulu faire chanter l’Etat ». Démenti cinglant de l’Istiqlal, mais pourquoi ne pas croire le ministre, pour une fois, l’accusation étant extrêmement grave, et l’accusé s’y prêtant volontiers ?
Avant sa défaite électorale, le patron de l’Istiqlal avait juré que s’il n’arrivait pas premier, il démissionnerait. Il n’est pas arrivé premier, mais il n’a pas démissionné. Or, tout le monde avait gardé de cet épisode l’idée, et la réjouissante perspective, de son départ. Au contraire, il était resté, tout en prenant langue avec Ilyas el Omari, futur (et déjà réel) patron du PAM et ennemi juré de Benkirane...
5/ Le scrutin législatif du 7 octobre 2016.
L’Istiqlal perd là encore le quart de ses effectifs...
parlementaires, passant de 60 députés à 46. Là, Chabat sent le danger, et va immédiatement et sans conditions s’arrimer au paquebot PJD, grand vainqueur du scrutin. Il ne jure plus que par Benkirane, veut s’allier avec Benkirane, défend Benkirane et rit même, beaucoup, avec Benkirane. A la grande joie de ses camarades du Politburo, enchantés à l’idée d’être, peut-être, ministres.
Les Istiqlaliens sont heureux car malgré toutes ces volte-faces, ils ne souhaitent en effet rien de plus qu’être au gouvernement. Alors ils sortent tous de leurs retraites où ils se morfondaient. Les Hjira, Karim Ghellab, Yasmina Baddou et d’autres encore apparaissent au Conseil national qui a dit oui à l’entrée au gouvernement, comme ils sont tous alignés en rang d’oignon, ce lundi 26 décembre, derrière leur secrétaire général après sa grosse bévue mauritanienne.
6/ L’attaque en règle contre Fouad Ali al Himma et Zoulikha Nasri.
Dans son adresse à l’UGTM du 24 décembre, le secrétaire général de l’USFP a cru bon de rappeler un épisode que tout le monde a oublié et dont tout le monde se moque aujourd’hui… à savoir la formation du gouvernement Benkirane en 2012. Selon l’orateur, les Istiqlaliens – encore menés par leur ancien SG et Premier ministre en titre Abbas el Fassi – avaient décidé de couper leurs téléphones et de ne plus répondre aux diverses sollicitations, tant que les conditions de leur maintien au gouvernement n’étaient pas réunies. « Mais ce qu’il s’est passé est que M. Fouad Ali al Himma et feue Zoulikha Nasri (alors tous deux conseillers de Mohammed VI, NDLR), s’étaient transportés au domicile du secrétaire général et lui avaient remis la liste des ministres Istiqlal dans le cabinet Benkirane ». Citer ainsi des conseillers du roi dans une mission aussi discutable et contestable n’est pas une situation d’avenir dans le royaume et en septembre Nabil Benabdallah en avait fait les frais, s’étant alors fait sévèrement recadrer par le palais pour avoir imputé le tahakkoum à al Himma.
Hamid Chabat, lui, n’a même pas eu l’ « honneur » d’un communiqué du palais, et c’est Abbas el Fassi, principal co-concerné par le propos de Chabat, qui est monté à la manœuvre… et qui a tout démenti, avec la dernière vigueur et la plus grande force, apportant sa vérité que nul ne peut vraiment contester car c’est de lui qu’il s’agissait et c’est dans son domicile que les deux conseillers se seraient rendus à fin 2011…
7/ La gaffe sur la Mauritanie.
Hamid Chabat n’a pas dit des choses bien graves, sur le plan historique, mais dans le contexte géopolitique actuel et la solide hostilité mauritanienne à l’égard du Maroc, rappeler que la Mauritanie est terre marocaine n’était pas très inspiré.
Une avalanche d’événements s’est alors abattue sur le patron de l’Istiqlal. Le président du RNI Aziz Akhannouch y a vu une raison officielle cette fois de demander l’éviction de l’Istiqlal, mené par un tel personnage. Le ministère des Affaires étrangères a qualifié Chabat d’ « irresponsable ». Le roi Mohammed VI a appelé le chef de l’Etat mauritanien au téléphone pour mettre les choses au clair et lui a envoyé… Benkirane, dans une mission de « battage de coulpe », où le chef du gouvernement prendra la mesure de la volatilité, de l’instabilité et de l’insoutenable légèreté de Chabat.
8/ Aujourd’hui…
Aujourd’hui, la situation de Chabat n’est pas enviable. L’homme est aussi indélicat que désormais indésirable. Ses gaffes se multiplient dans un pays où le non-dit est une posture et une coutume.
Le secrétaire général de l’Istiqlal a été désavoué par son prédécesseur, tout en étant toujours honni par les membres du Clan « el Fassi », qui ne lui ont jamais pardonné son outrecuidance, malgré les sourires de convenance. Quant à l’ancien secrétaire général du parti qu’est Mhamed Boucetta, il ne l’a jamais supporté, et encore moins porté dans son cœur. Son numéro 2 Taoufiq Hjira attend la première occasion pour se rebeller, lui qui s’est calfeutré chez lui depuis plusieurs années, qu’il soit président du Conseil national.
Sur la scène politique, Chabat n’est aimé de personne et est même détesté par certains. Il est craint par tous, y compris ceux qui n’aiment craindre personne… Seul Benkirane continue de le soutenir, malgré leurs heurts passés, mais c’est par calcul politicien, à court terme. C’est en effet et justement parce qu’il le sait isolé et acculé que le chef du gouvernement voudrait en faire son fer de lance, comme une bête blessée cherchant revanche.
Le secrétaire général de l'Istiqlal, pour sa part, a eu le tort de s'immiscer dans la lutte sourde et feutrée que livre le PJD à tous, palais compris, pour asseoir sa domination, et il a eu encore plus tort d'offrir son parti sur un plateau d'argent à Benkirane qui n'en demandait certainement pas tant. Mais suite aux événements de ces derniers jours, le chef du gouvernement serait insensé de continuer de garder son amitié à un homme aussi sulfureux, malgré le soutien (de façade) que lui ont témoigné ses pairs au Bureau exécutif de l’Istiqlal.
Finalement, et à l’inverse de ses prédécesseurs à la tête de l’Istiqlal et des dirigeants qui ont marqué le pays tout au long des cinq ou six dernières décennies et qui ont été bien plus discrets et bien moins frontaux, Hamid Chabat aura pêché par trop de spontanéité, trop d’audace politique, sombrant souvent dans le loufoque. Au Maroc, un dirigeant politique ne doit pas dépasser les limites qui lui ont été tracées, de son gré ou à son insu.
Alors, la mort (politique) annoncée de Chabat devrait être annoncée au plus tard dans les prochains mois, au Congrès du parti prévu en 2017. Benkirane se sera fait une raison entretemps, acceptera aujourd’hui sans doute de faire alliance et affaire avec Akhannouch sur les restes de Chabat, et pourrait même prononcer plus tard l’oraison funèbre politique de ce dernier, par charité musulmane… et même un certain plaisir…
Aziz Boucetta
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