Et quid de l’opposition ?, par Taoufiq Bouachrine

Et quid de l’opposition ?, par Taoufiq Bouachrine

L’esquif du pouvoir avance à deux rames, l’une est celle du gouvernement, l’autre est l’opposition. Il n’existe pas de gouvernement sérieux sans opposition efficace… « dis-moi qui est ton opposition, je te dirais qui tu es ! »… Or, la plus grande partie des partis court aujourd’hui derrière Abdelilah Benkirane et lui fait du pied pour le rejoindre dans sa tente gouvernementale.

Tous se sont affranchis du discours opposant et de critique au parti islamiste et tous ont renoncé à s’en prendre à son chef, qui en se retenant désormais d’agiter l’épouvantail syrien, et qui en multipliant rires et sourires. Et ceux qui n’ont pas tendu la main à Benkirane pour s’allier avec lui ont brandi la carte de la réconciliation, comme si on sortait à peine d’une guerre civile ravageuse… alors même que la vraie réconciliation doit être menée avec le peuple et aussi avec les vraies valeurs démocratiques et un  multipartisme réel et non factice et artificiel.

Dans toutes les démocraties, les élections  créent une majorité et une opposition, sauf en nos vertes contrées où les scrutins ne font que renforcer la balkanisation et la confusion. Ainsi, le parti vainqueur a obtenu quelque 32% du total des 395 sièges parlementaires en jeu. Quand bien même ce score serait important, car constituant un record historique au Maroc, il n’aura pas permis de dégager une majorité parlementaire claire et cohérente, et une opposition homogène et conséquente.

Si les partis de la Koutla, le RNI, l’UC et le MP entrent au gouvernement prochain, qui fera donc l’opposition ? Il serait parfaitement illusoire de penser que ce sera le PAM qui tiendra ce rôle, car c’est un parti qui a été créé pour évoluer dans le gouvernement et non se morfondre dans l’opposition. Son positionnement idéologique est invisible ; il  est comme l’eau, inodore et incolore. Quant à son autonomie par rapport au pouvoir, on ne peut même pas sérieusement l’envisager. Et ne parlons même pas de la structuration de ce parti, presque entièrement formé de créatures courant après les postes et les sinécures, œuvrant à goûter aux délices du pouvoir et refusant « l’honneur de l’opposition », pour reprendre l’expression d’Ilyas el Omari.

Et tout cela signifie que Benkirane se pavanera face à cette classe politique, tout au long des cinq années à venir, sachant qu’aucun parti de l’administration ne saura se dresser contre lui, aussi bien ceux qui resteront dans l’opposition ou ceux qui entreront dans son gouvernement, après s’être brûlé les ailes durant ces 5 dernières années. L’USFP a perdu la moitié de son poids électoral et l’Istiqlal s’est très sérieusement endommagé, tant sur le plan électoral que politique ; le RNI, pour sa part, s’est si cruellement effondré qu’il s’est jeté corps et âme aux pieds d’un milliardaire auquel il confiera son sort bien que ce dernier ne  dispose même pas de sa carte de membre. Reste l’UC, un parti qui a perdu toute raison d’être et toute raison tout court depuis le décès d’Hassan II.

Quelle est donc la solution pour cette situation où nous ont conduit les concepteurs des mauvaises idées et des encore plus mauvaises stratégies, ceux qui ont dessiné une carte politique sans tenir compte de la volonté des partis concernés, de celle de leurs dirigeants et de leurs bases, sans tenir compte de la moindre logique politique et occultant les contraintes historiques des...

partis ? Comment donc concevoir ou penser en effet que l’Istiqlal pourrait s’opposer à Benkirane et au PJD, qu’il pourrait critiquer « l’islamisation » de la société, alors même que c’est dans ses imprimeries que les livres de Sayyed Qotb avaient  été produits dans les années 60 et que c’est Allal el Fassi qui avait diligenté une mission de bons offices auprès du président Jamal Abdennasser pour obtenir la grâce du même Qotb, théoricien des Frères musulmans…

Ceux qui ont fait sortir Chabat et l’Istiqlal du gouvernement en 2013, sans autre raison que la manœuvre post-printemps arabe, sont les responsables de la situation actuelle d’effondrement de l’opposition. Et ceux qui ont concocté le nouveau plan de « l’opposition de Sa Majesté » sont également les responsables de la disparition de toute forme d’opposition crédible, et ceux qui ont dicté cette idée de « l’opposition au gouvernement en faveur des gouvernants » sont enfin les responsables de cette impasse politique où la posture d’opposition est devenue assimilable à la géhenne ! Et nous voilà aujourd’hui, tous, cherchant une opposition qui vaille la peine d’y croire, avec une crédibilité qui lui permette de remplir sa fonction…

Il est devenu évident, ces derniers mois, que la seule opposition à Benkirane a été celle des deux ministres de l’Intérieur Hassad et Draïss, qui ont publié tant de communiqués incendiaires contre Benkirane, qui ont posé tant d’entraves au PJD, et qui ont même été jusqu’à s’en prendre au parti vainqueur au moment où ils annonçaient les résultats du scrutin du 7 octobre. Ils n’ont pas hésité à s’attaquer à Benkirane, leur chef durant des années et chef du gouvernement pour des années encore !

Et voilà donc que la technocratie s’est transformée en opposition… et le chef du gouvernement s’est mué en chef de l’opposition aussi, 5 jours par semaine à être le collaborateur du palais et le weekend à aller porter sa bonne parole à ses ouailles, à tous, pour tous et partout… Et pendant ce temps-là, l’opposition, ou celle supposée l’être, cherchait sa perfusion quotidienne auprès de l’autorité… Un panorama certes surréaliste, mais ô combien réel !

Les partis politiques ne peuvent être créés dans des labos politiques, pas plus que l’opposition n’est montée comme un jeu de « lego ». Quant aux leaders politiques, ils ne naissent pas dans des couveuses mais prennent le temps de germer, pousser et grandir dans la terre du peuple et de la société.

Une solution, peut-être ? Le moindre mal serait donc qu’Akhannouch aille dans l’opposition avec son RNI, où il retrouverait l’UC et le PAM, et où il œuvrerait à rassembler ces miettes éparses pour leur apprendre à se faire à l’idée de l’opposition et à y agir pour de vrai, non contre Benkirane en tant que personne mais en tant que majorité, pas pour œuvrer pour le makhzen mais pour agir pour le pays… Mais, bien évidemment, le PAM luttera contre cette logique car sinon il aura perdu deux fois, une fois en perdant la direction de la majorité, aux élections, et la deuxième en ratant l’occasion de diriger l’opposition, après l’élection. Et c’est pour cela qu’Ilyas el Omari s’est révolté, a fait une révolution de 180° en tendant la main à Benkirane, malgré leur très forte hostilité mutuelle, et en adressant un mémorandum au roi, en voyage à l’étranger, demandant une révision d’une constitution qui n’a pourtant que cinq ans d’âge… el Omari a dit non au Makhzen !

Akhbar Alyoum (traduction de PanoraPost)

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