Lecture(s) du communiqué royal recadrant Nabil Benabdallah, par Aziz Boucetta

Lecture(s) du communiqué royal recadrant Nabil Benabdallah, par Aziz Boucetta

Mardi 13 septembre au soir, on le sait, le Cabinet royal a publié un communiqué virulent contre le Secrétaire général du PPS Nabil Benabdallah, dans lequel il lui reproche, en le qualifiant d’ « irresponsable », de s’en prendre au conseiller du roi, Fouad Ali al Himma, et de faire de l’électoralisme en parfaite illégalité et illégitimité.

Il s’agit de la seconde fois durant cet été que le roi siffle une infraction électorale, la première ayant été lors du discours du Trône, quand il avait mis en garde contre les propos de la classe politique en général, et d’Abdelilah Benkirane en particulier, sans que le chef du gouvernement ne soit nommément cité. Les termes employés dans le discours du 30 juillet et dans le communiqué du 13 septembre sont les mêmes : « quête des voix », « sympathie des électeurs », « réputation de la patrie »…

Plusieurs indications et lectures se dégagent de ce communiqué.

1/ Dans ce texte du Cabinet royal, le nom de Nabil Benabdallah est explicitement mentionné, et les mots sont durs, inquiétants même pour l’avenir du SG du PPS… Celui-ci est qualifié d’irresponsable et de récidiviste de l’irresponsabilité. Quand on sait que le roi est, aux termes de la constitution (article 42), « (…) garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat et arbitre suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles (…) », on peut comprendre le désarroi dans lequel peuvent aujourd’hui se trouver Benabdallah et son allié, et désormais ami, Benkirane.

Si on devait recourir à une métaphore du football, le fait de dire dans le communiqué que « cette déclaration, qui intervient après d’autres déclarations tout aussi irresponsables de M. Nabil Benabdallah, n’est qu’un outil de diversion politique en période électorale », sonne comme un second carton jaune. « Cette déclaration, qui intervient après d’autres déclarations de M. Nabil Benabdallah »… Deux fautes, deux avertissements, et en football, deux cartons jaunes équivalent à un rouge, donc à une exclusion du match électoral. Les prochains jours apporteront leur lot d’informations sur cette "irresponsabilité" récidiviste (on reproche aussi à Benabdallah d'avoir récemment comparé le tahakkoum d'aujourd'hui à la politique menée autrefois par Oufkir, puis Dlimi et enfin Basri).

Cela étant, et malgré cela, la pire des choses qui pourrait survenir aujourd'hui est une éviction forcée ou volontaire de Benabdallah de la tête de son parti, comme le sous-entendent déjà plusieurs observateurs. Cela signifierait que le palais s'implique vraiment, même à son corps défendant, dans l'activité partisane, et cela donnerait du crédit, par défaut, aux propos de Benabdallah.

2/ Le terme « diversion » employé est significatif. Pour le Larousse, une diversion est « une manœuvre ou procédé visant à attirer l’adversaire vers une zone différente de celle où l’on compte attaquer ». L’adversaire est, on le sait, Ilyas el Omari et le PAM, et par ses déclarations sur le PAM et son fondateur, Benabdallah oriente son adversaire, et l’électorat, vers Fouad Ali al Himma. La manœuvre est assez dangereuse et assez frontale pour faire sortir le palais de sa réserve.

Il n’aurait au demeurant pas pu rester muet car le SG du PPS, à escient ou non, l’a clairement, bien qu’indirectement, impliqué dans la joute électorale ; on connaît en effet les relations particulières entre le roi Mohammed VI et son conseiller, et quand on touche à ce dernier, on atteint inévitablement le roi.

Or, quand Benabdallah dit à al Ayyam (daté du 8 septembre) que « nous n’avons pas de problème avec le PAM mais avec la personne qui se trouve derrière ce parti et qui est précisément celle qui incarne le tahakkoum (autoritarisme) », et qu’il ajoute que cette personne est « celle qui a fondé le parti… les choses sont claires » (voir image ci-contre), les choses sont en effet claires, et la personne visée est Fouad Ali al Himma. Si le palais n’avait rien dit, il aurait entériné cette accusation d’immixtion dans les affaires électorales. La réaction a donc été aussi forte que la charge de Benabdallah.

Mais la diversion peut également marcher dans l’autre sens, en cela qu’à travers Benabdallah, qui n’est que le porte-voix docile de Benkirane, les termes du communiqué...

pourraient également s’adresser au chef du gouvernement

3/ Il s’agit là de la première sortie officielle et solennelle du palais contre ce nouveau venu dans la terminologie politique et électorale nationale, le tahakkoum. Depuis plusieurs mois, Benkirane, ses frères et Benabdallah n’ont que ce mot à la bouche pour désigner Ilyas el Omari. Les analyses et commentaires qui ont suivi durant cette période est que le tahakkoum vient de houkm (pouvoir) et donc, inévitablement, du houkm, donc du palais. La réaction du Cabinet royal se justifie donc, s’explique… et s’applique aussi, indirectement, presque directement même, à Abdelilah Benkirane, qui aura compris le message et senti le boulet siffler à ses oreilles.

4/ Benabdallah a, quand même, eu le mérite, ou l’audace, voire même l’imprudente intrépidité, d’avoir dit tout haut ce que bien des gens pensent tout bas. Et le palais a eu le mérite de saisir la première opportunité pour répondre haut et fort à ce qui se dit en messes basses.

Désormais, le terme tahakkoum, si cher à Benkirane et à ses affidés, sonnera creux car le communiqué « libère » al Himma de toute volonté ou velléité d’intervention dans le champ politique. Ilyas el Omari ne pourra plus être « accusé » de rouler pour le palais, parce que c’est de cela qu’il s’agit, quand on parle de tahakkoum.

Les règles sont désormais claires, à moins que l’on ne veuille remettre en cause la sincérité du communiqué, mais cela est une autre affaire.

5/ La fonction des conseillers royaux n’est pas prévue dans la constitution, en dépit du fait qu’ils détiennent un pouvoir important. Le communiqué donne, enfin, une définition précise de leur rôle. « Les Conseillers de SM le Roi n’agissent que dans le cadre de leurs fonctions, en suivant les hautes instructions précises et directes qui leur sont données par Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste ». Ils ne sont donc comptables, dans leur action, que vis-à-vis du roi, et de personne d’autre. Ils sont donc tenus à une exemplarité dans leur comportement car tout ce qu’ils font implique le roi, et les réseaux sociaux ne sont jamais loin, confortés dans et par l’anonymat des internautes. Le monde change, et le Maroc aussi, forcément.

6/ La reconnaissance exprimée pour le rôle et le passé du PPS, dont Benabdallah est le secrétaire général, conduit à poser cette question : Le soutien du parti à Benkirane et son alliance avec le PJD sont-ils réellement le fait du parti et de ses instances, ou à l’inverse une décision unilatérale de Benabdallah, qui a engagé son parti avec lui, selon les méthodes d’appareil bien connues ? Les jours qui viennent devront apporter la réponse, si les instances du PPS se réunissent pour discuter de cette affaire.

7/ Certaines analyses publiées depuis hier affirment qu’en publiant ce communiqué, le palais s’implique dans la bataille électorale, ce qui est faux. En effet, le roi détient un pouvoir constitutionnel important et incontournable, mais il l’exerce en Conseil des ministres, une fois la majorité constituée, les alliances contractées et le gouvernement formé. Le palais, étant situé au-dessus de la mêlée électorale, ne s’implique pas dans les élections, n’agit pas en amont des scrutins, mais en aval. Et l’hostilité déclarée entre certains ministres dits de souveraineté (comme l’Intérieur) et le chef du gouvernement n’est pas, comme on pourrait le croire, l’exécution d’une politique royale, mais est davantage due à une querelle de personnes entre un Benkirane hégémonique et une administration qui refuse cette hégémonie. Mohammed VI assiste à tout cela, mais n’agit que quand on essaie de l’impliquer

En conclusion, et à la lecture de ce communiqué, on comprend que cette campagne sera très dure, bien plus rude que les précédentes. On dit que le plus difficile n’est pas d’être le premier, mais de le demeurer, et c’est exactement la situation du PJD qui a envie de le rester, et du PAM qui aspire à le devenir.

NB : le site du PJD se présentant comme un média d’information, on relèvera que jusqu’à mercredi en milieu de journée, il aura été le seul à ne pas avoir rapporté le communiqué du palais royal, contrairement à son habitude de réagir très rapidement en pareil cas… Benabdallah en aurait eu bien besoin, ainsi que du soutien de Benkirane, en ce moment.

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