La décoration royale, par Sanaa Elaji

La décoration royale, par Sanaa Elaji

Comme tous les étés, les fêtes nationales se sont déroulées avec leurs rites, rituels, protocoles et festivités habituels. Et comme chaque année, plusieurs personnalités ont reçu des décorations royales, les listes de leurs noms publiées, et décortiquées.. Et comme chaque année, de nombreuses personnes ont ressenti une forme de frustration, de déception.

Personnellement, je comprends que la consécration de quelqu’un au moyen d’une décoration royale est le couronnement d’un parcours particulier, de valeurs déterminées portées par le récipiendaire, récompensé pour ses actes, son action et son engagement dans son domaine d’activité, artistique soit-il, ou scientifique, sportif, littéraire… Lorsque le chef de l’Etat distingue quelqu’un, pour sa contribution scientifique ou autre, on peut logiquement supposer que cela est fait pour récompenser une carrière rayonnante et des valeurs nobles.

Mais, à peu près à chaque cérémonie de remises de distinctions, et de la même manière que nous nous félicitons de la consécration de plusieurs personnalités méritantes, nous constatons celle de gens affichant des parcours plus discutables, des profils aux succès trop rapides pour être distingués, des attitudes négatives quant aux relations humaines et à la diversité au sein de la société… des gens qui présentent des modèles de succès sans avoir été regardants sur les méthodes, qui se sont trop rapidement enrichis, qui ne sont pas forcément des chantres de la pluralité…

Dans un pays comme le Maroc, où le roi occupe une position prééminente, bénéficie d’une très haute image symbolique et jouit de l’affection sincère de très larges franges de la population, on peut attendre que ces décorations royales ne tombent pas dans la facilité, dans la banalité, tant dans la qualité que sur le plan quantitatif.

1/  La symbolique représentée par une décoration est d’autant plus élevée et importante que le nombre des récipiendaires est réduit… quelle valeur pourrait en effet avoir un wissam remis à plusieurs dizaines de personnalités à chaque cérémonie ? L’inflation des décorations n’est-elle, ne pourrait-elle pas être source de leur dévalorisation, alors même que le but est d’en faire une réelle consécration morale et une haute reconnaissance de la Nation en faveur de celles et ceux qui la reçoivent ?

2/ Considérant les profils des récipiendaires de ces distinctions, il faut d’abord admettre ce principe que les goûts ne se discutent pas. Il appartient à chacun d’apprécier des travaux ou d’avoir de l’estime pour les parcours de certaines personnalités, tous domaines d’activité confondus, et le roi Mohammed VI ne déroge pas à cette règle car, en tant que personne et que citoyen, il est en droit de trouver à son goût les apports et réalisations...

de telle ou telle autre personne. Toutefois, une décoration décernée par lui n’est pas tant une consécration décidée à titre personnel qu’une distinction remise par l’institution royale, par le roi en sa qualité de chef de l’Etat, représentant le pays tout entier, pour récompenser une œuvre artistique, scientifique, littéraire ou autre. Une telle distinction traduit donc un choix pour une carrière déterminée, un parcours personnel, des valeurs individuelles que la plus haute autorité du pays a décidé de mettre en valeur et d’inviter au panthéon de la Nation. Partant de ce principe, on peut s’interroger : est-ce là le modèle que nous voulons consacrer et présenter à notre jeunesse : la réussite rapide, trop rapide, la dévalorisation de la femme, des conceptions traditionnalistes, etc ?...

Et donc, à titre d’exemple, remettre des décorations aux jeunes élèves reçus avec d’excellentes mentions au baccalauréat au Maroc et ailleurs est une heureuse décision car elle consacre les valeurs nobles du succès, de l’effort et du sérieux. Une telle distinction incitera très certainement les futurs candidats à fournir encore plus de travail, à aller encore plus haut, plus fort, plus loin. Honorer les lauréats méritants au bac comporte des enseignements éloquents, comme quand ces lauréats proviennent de l’enseignement public, ou vivent dans des régions reculées du royaume, ou encore sont issus de familles humbles, ou enfin souffrent d’handicaps mentaux ou physiques… En décorant de tels lauréats, la plus haute autorité du pays adresse ce message encourageant que même quand les conditions sont difficiles, le succès est possible et que ce succès est le couronnement des efforts entrepris, bien que l’environnement puisse être défavorable.

Et quand on décore des personnalités qui ont consacré leur vie à leur travail, faisant preuve d’abnégation et faisant montre de persévérance, quels que soient leurs domaines d’activités, cela signifie que la nation est reconnaissante pour l’effort, pour l’innovation, pour le sérieux et le dépassement de soi.

Mais, à l’inverse, quand on récompense la culture de la facilité, alors nous encourageons des habitudes négatives dans un pays où l’Homme et le citoyen restent à construire, où les valeurs et les principes sont encore en chantier.

Une décoration royale n’est pas une consécration remise dans un jeu télévisé ou par une quelconque association ou commission d’arbitrage dans une compétition marketing… Une décoration royale est un acte d’importance dans l’histoire d’une nation, qui doit porter haut des valeurs déterminées et servir d’exemple et de modèle à suivre en vue de la construction de la société de demain sur les valeurs du sérieux, de l’effort, de l’innovation et de la créativité, des valeurs humaines nobles… et du respect de l’Autre, quel qu’il soit.

Al Ahdath al Maghribiya (traduction de PanoraPost)

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