Violente passe d’armes entre Ankara et Bruxelles sur l’exemption de visas pour les Turcs

Violente passe d’armes entre Ankara et Bruxelles sur l’exemption de visas pour les Turcs

En marge du Sommet humanitaire mondial qui se tient à Istanbul, les tractations et marchandages vont bon train entre l’Europe et Ankara pour l’accord sur les migrants. La chancelière allemande Angela Merkel a adressé un message de fermeté lundi au président turc Recep Tayyip Erdogan, lequel s'est vu signifier un refus d'exemption de visas européens à un tarif préférentiel, en plus d'une rude leçon de démocratie. Deux egos s’affrontent donc… Erdogan menace l’Europe sur les visas d’entrée et lui fixe un ultimatum à fin juin et Merkel ne semble pas décidée à céder..

L’accord entre la Turquie et l’Europe sur le blocage des migrations vers le Vieux Continent comprenait trois points : une indemnité à verser à Ankara, la reprise des négociations sur l’admission de la Turquie dans l’Europe et l’exemption de visas pur les Turcs allant en Europe. Bruxelles avait remis aux Turcs une liste de 72 points à satisfaire, articulés autour de 5 grands axes : sécurité des documents d’identité, gestion des migrations, ordre public et sécurité, droits fondamentaux et réadmission des migrants irréguliers.

Début mai, les Turcs avaient annoncé qu’ils avaient satisfait à 68 de ces conditions mais, sur les 4 restantes, une est indiscutable aux yeux d’Erdogan : la loi antiterroriste. Le 12 mai, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait dit que Bruxelles « attache de l’importance à ce que les conditions prévues soient remplies, sinon cet accord ne verra pas le jour.  La Turquie doit mettre en œuvre les conditions, il ne peut y avoir de "Lex Turquie" [une loi spéciale]. Si le président turc ne veut ou ne peut pas les appliquer, on ne pourra pas accorder l’exemption de visa ».

Le président Erdogan avait répondu ceci, à partir d’Ankara : « « Depuis quand dirigez-vous ce pays, qui vous en a donné le droit ? Ceux qui veulent le droit de combattre le terrorisme pour eux-mêmes mais considèrent que c’est un...

luxe pour autrui, laissez-moi le dire clairement, agissent avec hypocrisie ».

Le ton était déjà donné et le torchon avait pris feu. Il brûle aujourd’hui suite aux échanges entre la chancelière Angela Merkel et Erdogan. Invitée au Sommet humanitaire, la première a déclaré que « bien sûr, la levée de l'immunité d'un quart des députés est une source de profonde préoccupation, que j'ai exprimée au président turc, et j'ai clairement dit que la voie vers l'exemption de visa passe par 72 points. Nous avons besoin de la mise en œuvre de ces points pour accorder l'exemption de visa. De plus,  une démocratie a besoin d'une justice indépendante, d’une presse indépendante et d’un Parlement fort ». Autant de critères qui ne semblent plus respectés en Turquie, où les parlementaires ne disposent plus d’immunité, ce qui est une menace directe aux parlementaires kurdes, où la presse est muselée et soumise à de très fortes pressions et où le parlement plie sous les volontés du président.

Réponse d’Erdogan : « La Turquie pourrait suspendre les accords en vigueur si les 28 continuaient de ne pas tenir les promesses faites aux citoyens turcs.  Ils doivent savoir que s'ils maintiennent leur attitude, la Turquie prendra très bientôt des décisions radicales… Aucune décision, aucune loi dans le cadre de l'application de l'accord de réadmission ne sortira du Parlement de la République de Turquie s’il n’y pas d’avancée sur la question des visas ».

Entre Merkel, mise sous pression par l’extrême-droite de son pays sur sa politique généreuse pour les migrants, et connue pour son caractère affirmé, et Erdogan, qui glisse de plus en plus vers un pouvoir personnel sans contre-pouvoirs, le clash menace d’être rude. A la clé, noyer l’Europe sous les cagues de migrants en cas de gel de l’accord, âprement négocié par l’ancien Premier ministre turc Davutoglu, démissionnaire depuis en raison de divergences de vues et de différends avec le président Erdogan.

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