Que veulent vraiment les Etats-Unis du Maroc ?

Que veulent vraiment les Etats-Unis du Maroc ?

Bien malins ceux qui, en dehors des cercles restreints de pouvoir, pourraient répondre à cette question… Mais des informations commencent à filtrer, donnant une indication de ce que seraient, peut-être, les visées réelles des Américains pour cette région, secouée par le terrorisme, gangrénée par l’instabilité, et où le Maroc est la seule oasis de stabilité politique, de possibilités économiques, de maîtrise sécuritaire... Explications.

Histoire passée et enjeux actuels

Les bases américaines avaient quitté le Maroc en 1973, suspectées d’avoir eu un rôle dans les coups d’Etat contre le défunt Hassan II et, depuis, Washington cherche à trouver le moyen d’y retourner, surtout depuis la chute du Mur de Berlin en 1989. La base de Ben Guérir avait été mise à la disposition de la NASA, donc de l’armée américaine… et depuis quelques années, des manœuvres a grande échelle (Lion africain) sont menées conjointement, sur le territoire marocain, entre l’armée US et Rabat, qui avait annulé l’exercice en 2013 pour protester contre l’hostilité US au Conseil de Sécurité pour le Sahara.

Mais le besoin américain est encore plus marqué d’obtenir des bases en Afrique depuis l’apparition des menaces terroristes dans le Sahel africain (al-Qaïda, Boko Haram, Shebab en Somalie et, plus récemment, l’organisation terroriste « Etat islamique »). Alors, où s’installer, et comment y parvenir?

L’enjeu, selon James Robbins, un spécialiste de la stratégie militaire et géopolitique américaine, membre de plusieurs think-tanks et analyste de politique étrangère américaine, est de créer une présence militaire US forte, centralisée et opérationnelle en Afrique. Selon lui, le commandement militaire  africain (Africom), actuellement basé en Allemagne, à Stuttgart, est loin de son théâtre d’opérations. Il existe aujourd’hui plus de 6.000 GI’s disséminés sur 26 points différents en Afrique, et ce que rechercherait le Pentagone est une délocalisation de l’Africom en Afrique.

Par ailleurs, et comme pour confirmer cela, « The Center for Research on Globalization » (CRG), basé à Montréal, a publié une note expliquant que le Maroc serait le premier choix du Pentagone pour implanter le nouveau siège du commandement de l’US Africom.  Selon le CRG, Washington serait en train de préparer une vague  d'interventions militaires dans toute l'Afrique subsaharienne. Or, pour ce faire, le Pentagone a besoin que le siège de son commandement africain soit dans un pays africain, qui soit sûr et au bon positionnement stratégique.

Le Maroc, choisi mais réticent

Quel est le meilleur endroit pour cela ? Le Maroc. Or, depuis le départ des troupes américaines du Maroc dans les années 70, et depuis aussi leur présence calamiteuse en Irak et en Afghanistan, les Marocains ne voient pas d’un très bon œil leur implantation sur le sol marocain. En 2008, des négociations avaient eu lieu pour implanter le tout nouvel Africom au Maroc, et précisément dans la région de Tan Tan, mais Rabat avait poliment et diplomatiquement décliné la demande.

Les choses commencent à s’éclaircir depuis les derniers rebondissements de l’affaire du Sahara, avec les discours de plus en plus offensifs du roi Mohammed VI contre les Etats-Unis, accusés entre autres de « poignarder dans le dos », et ce qui ressemble bien à des coups de poignards dans le dos, comme on l’a vu à travers la première version de la résolution , pas vraiment en faveur du Maroc… « Que veulent-ils de nous ? », s’était interrogé le souverain à Riyad…

Dans l’intervalle, les menaces se sont accrues et les besoins se font plus pressants. James Robbins explique, selon les informations qu’il détient, qu’un lien pourrait être établi entre une installation de l’Africom au Maroc, et plus précisément au Sahara, et une reconnaissance de facto de la souveraineté marocaine sur son Sahara, sinon un soutien plus marqué du plan d’autonomie soumis par Rabat à la communauté internationale.

Selon lui, « le Royaume du Maroc est un choix évident en tant que destination. Une oasis de stabilité dans une région chaotique. C’est un partenaire de longue date des USA et son allié majeur non-OTAN, avec une histoire de coopération en matière de sécurité et de transferts d'armes. Washington pourrait ainsi suggérer d’installer AFRICOM à Laâyoune, dans la zone contestée, ce qui signifierait un soutien tacite, sinon une reconnaissance explicite de la revendication du Maroc ».

Coïncidences

Trois événements sont survenus depuis quelques années, en apparence indépendants les uns des autres, mais plus...

liés que l’on ne pourrait le penser de prime abord…

1/ Le Maroc, petit pays s’il en est au regard de Washington, commence à intéresser l’Oncle Sam pour ses richesses phosphatières. Un think tank US avait même émis l’éventualité de placer le Maroc comme enjeu stratégique pour les Etats-Unis dans les 20 ans à venir car les phosphates sont les garants de la sécurité alimentaire à l’avenir. Or, le Maroc a basculé depuis quelques années de simple exportateur de la matière première en pays producteur d’engrais, qui se projette dans son prolongement africain et y construit des usines d’engrais. Il pourrait présenter une menace.

2/ Le plan d’autonomie avait été soumis par le Maroc en 2007, l’Africom avait vu le jour en 2008, et les concertations pour la faire s’installer au Maroc avaient commencé la même année, avec le résultat que l’on sait. Alors, les manœuvres US ont commencé dès 2011/12, avec  l’hostilité croissante de Christopher Ross et l’insistance de son maintien par l’ONU et la Maison Blanche. Plus tard,  la question de l’élargissement des attributions de la Minurso aux questions des droits de l’Homme était apparue. Cela avait commencé par les Etats-Unis, puis le Secrétariat général de l’ONU avait pris le relais. L’objectif, selon un diplomate connaisseur de la question, est de « mettre Rabat sous pression, afin de le rendre plus docile pour des négociations avec les Etats-Unis ». Ces derniers sont passés à la vitesse supérieure en 2016, en deux temps, le premier avec l’offensive de Ban Ki-moon qui, on le sait, n’aurait pas fait et dit ce qu’il a fait et dit au Sahara s’il n’avait eu l’aval de Washington et, le second, avec le projet de résolution résolument hostile au Maroc, rédigé par les Etats-Unis.

3/ L’activisme diplomatique du roi du Maroc Mohammed VI qui a multiplié les discours offensifs, voire agressifs, contre le camp occidental, affirmant qu’il était désormais temps d’élargir ses alliances vers d’autres superpuissances, comme Moscou et Pékin. Le bras de fer est donc engagé, aux allures de David contre Goliath certes, mais un David dopé par ses nouveaux atouts (phosphates, pré-alliances avec les Chinois et les Russes, présence africaine, maîtrise sécuritaire, raffermissement des liens avec les richissimes monarchies pétrolières,…) et aussi, et surtout, par l’importance de sa stabilité aux yeux de l’Europe, Rabat étant le gendarme anti-immigration et l’allié dans la lutte antiterroriste des Européens. On peut mieux comprendre aujourd’hui, à la lumière de tout cela, la politique vigoureuse du roi.

Etat des lieux

Les Russes, bien que timides, voire même inamicaux au Conseil de Sécurité le 29 avril, cherchent néanmoins à s’assurer une présence politique en Afrique, dont le Maroc est désormais une porte d’entrée de plus en plus marquée. Leur objectif est également de gêner les nouvelles configurations géostratégiques de Washington. Entre Moscou et Rabat, le rapprochement ne fait que commencer.

Les Chinois, plus décisifs et mieux décidés que les Russes, entrevoient dans le Maroc – et ils l’ont redit aux plus hauts niveaux – un allié pour leur future suprématie et présence économiques en Afrique. Ils ne sauraient laisser Rabat en prise directe avec les USA sans intervenir.

L’Union européenne voit dans le Maroc une barrière contre les vagues de migrants (que le Maroc stabilise en en régularisant des dizaines de milliers), un bastion de stabilité politique bienvenu au flanc sud immédiat du Vieux Continent, une source inépuisable et désormais incontournable d’informations dans une Europe à feu et à sang, effectif ou potentiel, et un terreau d’investissements économiques, sur son territoire ou en Afrique de l’Ouest.

Ces trois grandes puissances, bien qu’elles ne le montrent pas encore tout à fait (excepté Bruxelles), ne peuvent se permettre de laisser opérer une déstabilisation du Maroc suite aux visées brutales américaines. Cela n’empêche en rien le bras de fer entre Rabat et Washington d’être périlleux pour le premier, mais ainsi sont les relations internationales…

L'avenir dira comment se passeront les choses, après les élections présidentielles US. Il est connu que Hillary Clinton a une certaine sympathie pour le Maroc qu'elle connaît bien et comprend mieux que les politiques de Washington. Tout en maintenant une certaine prudence à l'égard des sympathies US, solubles dans leurs intérêts, on notera qu'il n'y avait pas eu de problèmes notoires entre l'administration américaine et Rabat du temps où Mme Clinton dirigeait le Département d'Etat, entre 2008 et 2012...

Aziz Boucetta

 

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