Le Festival Gnaoua et Musiques du monde, c’est aussi un Forum pour les idées
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- 16 mai 2016 --
- Maroc
La 19ème édition du Festival Gnaoua et Musiques du monde a baissé le rideau dimanche 15 mai. Durant quatre jours les rythmes des gnaouis, seuls ou en fusion et toujours en communion avec le public, ont enchanté le public. Mais le Festival, c’est aussi le Forum, co-organisé avec le Conseil national des droits de l’Homme. Cette année, le thème retenu était « Diasporas africaines ».
Deux journées durant, vendredi 13 et samedi 15, des chercheurs sociologues, musicologues, spécialistes des migrations, ont évoqué ce que sont ces diasporas africaines qui essaiment à travers le monde. Des jeunes, et des moins jeunes, africains, naissent et grandissent dans leurs pays respectifs, en Afrique, puis s’en vont travailler sous d’autres cieux. D’où la formule du « brain drain », qui a glissé vers « brain gain » pour les récepteurs de talents. Mais la question reste de savoir ce que gagnent les nations qui ont inverti dans les formations, sachant que la proportion de migrants qualifiés représente 13% de cette migration instruite et formée en Afrique, contre par exemple seulement 6% pour l’Asie.
Par ailleurs, les différents panels ont abordé d’autres points, comme celui de ce nouveau phénomène que connaît la migration, en l’occurrence le « global shift », ou basculement global des destinations des migrants. Avant, la direction était du Sud vers le Nord, mais depuis quelques années, on assiste à une redirection des migrations, désormais de plus en plus inter-Sud. Au Maroc, par exemple, le nombre de migrants reçus à été multiplié par 5 à 10 en 15 ans, le pays représentant un cas unique de régularisation massive de migrants sur son sol.
Mais le terme diaspora a beaucoup bougé ces dernières décennies. Ainsi, au 20ème siècle, ce sont les ONG qui se sont approprié le terme pour lui conférer une signification positive, contrairement aux débuts quand ce terme grec désignait les diasporas juives, « punies » en quelque sorte par leur Dieu pour ne pas avoir suivi sa voie, et devenues peuple dispersé.
Mais en Afrique, le terme revêt désormais une grande ambigüité puisque, retenu par l’Union africaine qui y voit la 6ème région africaine, on y parle de diaspora africaine tout en appelant les pays à réagir avec leurs diasporas respectives à leur convenance : alors diaspora africaine ou diasporas africaines. Mais,...
rappelle un sociologue, pourquoi parle-t-on de diasporas africaines et pas des diasporas asiatiques, américaines…
Finalement, la diaspora peut être assimilée au terme grec « pharmakon », qui représente tout aussi bien le remède que le poison, le remède car les retombées économiques et financières de l’émigration sont connues et reconnues, mais poison car ces émigrations sont une véritable hémorragie pour les nations émettrices, qui ont consacré de l’argent et consenti des efforts pour des cadres qui finissent par partir.
Et quand on parle diaspora, on signifie nécessairement une population qui vit à l’extérieur de son propre pays, d’où la nécessité de l’intégration, mais quelle intégration ? S’intégrer à quoi ? Force est de constater qu’à cette époque qui est la nôtre, il existe une hiérarchie des nationalités et des origines, arabe, musulmane, américaine, chinoise… Les unes doivent s’intégrer pour vivre, les autres, on le leur demande pas, et elles vivent très bien…
Enfin, au cours de ces discussions au Forum, la question des femmes n’a pas manqué d’être posée. On constatera que si les femmes, c’est 50% de la population mondiale, elles demeurent considérées comme des minorités, ce qui a conduit une participante à poser la question de savoir quand les femmes commenceront à s’occuper des hommes, au lieu de rester sur cet objet d’études qu’elles sont. Mais il faut reconnaître que puisque les hommes ne s’intéressent pas beaucoup au cas de femmes, il appartient à ces dernières de s’étudier elles-mêmes. Or, la femme est-elle, seulement, un objet d’étude, ou un sujet qui étudie, africaine soit-elle ou non ?
Des discussions riches, hardies, donc, ont agité les esprits et remué les cerveaux des panelistes mais aussi des participants, qui ont pu ainsi caresser leurs sens, le soir avec les rythmes enchanteurs des gnaouas, et le matin avec les idées profondes émises dans ce Forum.
Le mot de la fin est revenu au militant tunisien, et actuellement ministre chargé de la Société civile, Kamal Jendoubi, qui a expliqué que quand, du temps où il était exilé, il venait souvent au Maroc et qu’on lui demandait pourquoi, il répondait qu’au Maroc, il respirait l’air de la Tunisie.
A dans un an, donc, pour la 20ème édition du Festival Gnaoua Musiques du monde et pour la 5ème du Forum.
AB
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