In Amenas, les généraux algériens seront-ils poursuivis pour crimes de guerre ? (enregistrements audios)
Janvier 2013, une prise d’otages a lieu sur le site gazier d’In Amenas, dans l’est algérien, à une vingtaine de kilomètres de la frontière libyenne. Le groupe terroriste de Mokhtar Belmokhtar est à la manœuvre et retient environ 800 personnes. L’armée algérienne intervient le lendemain de l’attaque, faisant 66 morts, 29 terroristes et 37 otages, dont 10 Japonais. Alger avait alors défendu sa politique de refus de négociation avec les terroristes, mais des éléments nouveaux viennent d’apparaître, mettant les généraux algériens dans ce qui ressemble bien à « un crime de guerre ».
Les faits
Le déroulé des opérations est aujourd'hui plus visible, et audible, suite aux révélations faites par un périodique japonais à fin décembre 2015, et aussi et surtout grâce à des enregistrements audios authentifiés, diffusés par Medi1TV en exclusivité.
Le 16 janvier 2013, donc, une quarantaine de terroristes de la Katiba de Mokhtar Belmokhtar fait irruption sur le site gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas, en bordure de la frontière avec la Libye. Le monde est en émoi, et fait la liaison avec l’opération française Serval au Mali limitrophe. On pense alors que le groupe terroriste va exécuter ses otages.
Le 17 janvier, une communication se tient entre les agresseurs à 8h04, d’où il ressort que leur objectif n’est pas de tuer, mais d’exercer un chantage. Libération d’otages, rançon ? Tout est envisageable et tout est possible, l’important est que les ravisseurs ne souhaitent pas tuer. Verbatim (ici).
« Ecoute, essaie de mettre les otages étrangers en contact avec leurs familles… Demande aux otages de dire à leurs proches et à leurs sociétés que nous exerçons un chantage… L’exécution doit être l’ultime recours »…
A 13h20, l’armée algérienne attaque et tire sur l’installation à partir d’hélicoptères (ici) : « Les Algériens ne tiennent pas parole, ils nous ont demandé de commencer l’opération, mais ils n’ont ont trahis ! », hurle alors un terroriste sur site.
A 15h04, un militaire algérien présente au téléphone son rapport à son supérieur (ici) : « Nos éléments son train de nettoyer la base de vie »…
Plus tard, le surlendemain 19 janvier, les derniers otages survivants ont été libérés lors d'un deuxième assaut de l'armée algérienne qui a permis de reprendre le contrôle total de l'usine gazière.
Les informations américaines
Les documents révélés par WikiLeaks le 16 mars 2016 prennent sens alors… Un message reçu en janvier 2013 par l’ex-secrétaire d’État américaine Hillary Clinton par son ancien conseiller et celui de son mari du temps de sa présidence, Sydney Blumenthal, précise que « le gouvernement algérien du président Abdelaziz Bouteflika a été surpris et désorienté par les attaques (…). Selon des sources ayant accès à la DGSE algérienne, le gouvernement de Bouteflika a conclu une entente très secrète avec Belmokhtar après le kidnapping en avril 2012 du consul algérien à Gao (Mali). En vertu de cet accord, Belmokhtar a concentré ses opérations au Mali et, occasionnellement, avec les encouragements de la DGSE algérienne, attaqué les intérêts marocains au Sahara où les Algériens ont des revendications territoriales ». Sydney Blumenthal est connu pour ses contacts et liens avec le monde du renseignement, avec une spécialité pour la zone Nord-Afrique.
Le mail poursuit donc que « les officiels de sécurité algériens craignent que les attaques du 17 janvier (2013) puissent marquer une reprise de la guerre civile de 20 ans, et sont résolus à régler la situation avec une force extrême... Selon ces sources, le sort des otages est une considération secondaire dans cette décision. Dans le même...
temps, selon cette source sensible des officiers de la DGSE algérienne cherchent à rencontrer en secret Belmokhtar ou l’un de ses lieutenants au nord de la Mauritanie dans un futur immédiat. Ils ont reçu l’ordre d’établir la raison pourquoi Belmokhtar a violé leur accord secret vieux de deux ans et lancé des attaques à l’intérieur de l’Algérie ».
Ces faits rapportés par Blumenthal dans les messages publiés par Wikileaks voici 12 jours maintenant n’ont été démentis ni par Hillary Clinton, ni par le pouvoir algérien. En diplomatie, l’absence de démenti vaut acquiescement…
Les conséquences
A l’époque des faits, déjà, les chancelleries des Etats dont des ressortissants étaient présents sur le site avaient critiqué l’intervention de l’armée algérienne, et avaient dénoncé les tirs aussi nourris qu’aveugles, ciblant indifféremment otages et terroristes. Or, on sait que les puissances occidentales négocient toujours, volontiers et en secret avec les preneurs d’otages, et spécialement les Japonais, qui ont considéré la mort de leurs 10 ressortissants à In Amenas comme « un 11 septembre japonais ».
Trois ans après les faits, aucune enquête internationale n’a été lancée, bien que les témoignages des survivants aient confirmé la disposition des terroristes à négocier, d’où le syndrome de Stockholm inversé qui s’était opéré de la part des puissances étrangères concernées à l’égard des preneurs d’otages, et contre les militaires algériens. Les autorités judiciaires étrangères peinent à récupérer des données importantes de la part d’Alger, qui a ouvert sa propre enquête. Seuls les Américains du FBI ont pu accéder aux procès-verbaux d’audition des trois terroristes arrêtés pendant la prise d’otages.
Aujourd’hui, les faits sont avérés et on peut supposer que les militaires algériens aient eu connaissance de la communication entre les deux terroristes. Aussi, nous serions face à un crime de guerre, ainsi défini par le Statut de Rome, portant création de la Cour pénale internationale, mais que ni Rabat ni Alger n’ont signé.
Article 8, paragraphe b, alinéa 4 : « on entend par « crimes de guerre » (…) le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu'elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l'ensemble de l'avantage militaire concret et direct attendu… ».
Il appartiendrait donc à l’une des nations d’origine des otages tués dans l’assaut algérien, et essentiellement le Japon, de saisir les organismes compétents aux fins de demander une enquête internationale pour crimes de guerre, au nom du droit de savoir des otages survivants, des familles de ceux qui ont péri, des sociétés présentes à cette époque et des Etats concernés.
A Alger, l'Etat peut être considéré comme complice car le général qui était en charge des opérations spéciales était le général Athmane "Bachir" Tartag (explosif en VO). Or, loin d'être désavoué par sa hiérarchie et par la présidence en janvier 2013, cet officier supérieur - un habitué des opérations troubles, surnommé aussi parfois "Mengele" - vient d'être promu à la tête du fameux Département de Recherche et de sécurité, le DRS, le service de renseignement algérien. Cette promotion peut laisser croire à une collusion enyre le pouvoir militaire et la sphère politique dans le massacre d'In Amenas.
L’Etat algérien, non seulement n’a pas une politique claire et cohérente de gestion de crise, mais œuvre également, indirectement à travers ses différents généraux, à alimenter la mouvance terroriste sahélienne, par l’incitation des groupes terroristes ou par la concertation avec eux.
Aziz Boucetta
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