Entretien - Le Maroc, ce nouveau converti à la finance islamique

Entretien - Le Maroc, ce nouveau converti à la finance islamique

Fin novembre 2014, après plus de deux années d’attente, le projet de loi autorisant l’implantation des banques islamiques est adopté à Rabat. Sous l’impulsion du chef de gouvernement Abdelilah Benkirane, ce projet définit le statut des banques islamiques au Maroc et précise les produits qui pourront y être commercialisés.

Depuis cette adoption, les déclarations d’implantations de « finance participative », comme elle est appelée communément dans le royaume, croissent. Pas moins de 17 demandes d’accréditations ont été déposées à la banque centrale marocaine. A l’instar de ce nouveau protagoniste, la Banque participative…  Cette banqu,e en attente d’agrément, est le fruit d’une alliance entre la Banque populaire et le groupe américain Guidance Financial Group. Cette fusion internationale n’est pas la première du genre au Maroc.

C’est d’abord BMCE Bank of Africa et le groupe bahreïni Baraka Banking Group qui ont montré l’exemple. A deux, ils ont donné naissance à Al Baraka Bank,en juin dernier. Quelques mois plus tard, c’était au tour du Crédit immobilier et hôtelier de s’allier avec Qatar International Islamic Bank (QIIB). Les banques s’activent donc pour se lancer dans ce créneau participatif. Environ 40 millions de musulmans dans le monde sont aujourd’hui clients de la finance islamique. Un marché prometteur donc mais qui reste encore inconnu du grand public au Maroc. Concrètement, la finance islamique, c’est quoi ?

Panorapost a demandé un éclairage à un expert : Kader Merbouh, directeur de l’Executive master de finance islamique à l’université Paris Dauphine.

En quoi consiste la finance islamique ? En quoi diffère-t-elle de la finance dite conventionnelle ?

C’est une finance qui s’inspire de l’éthique issue du droit musulman des affaires et qui fait appel à des techniques spécifiques de structuration financière. Elle a de nombreux points communs mais également de réelles différences avec la finance conventionnelle. En l’occurrence, elle poursuit les mêmes objectifs en terme de performance financière. Sa spécificité provient du fait qu’elle veille au respect d’un ensemble de règles et de principes dictés par l’éthique musulmane. Ses principes sont les suivants : le partage des pertes et des profits, l’interdiction de la spéculation, l’interdiction d’investir dans des secteurs jugés non vertueux en islam (la pornographie, le tabac, l’alcool, etc ). La finance islamique impose ainsi des contraintes spécifiques en matière, notamment, de traçabilité des investissements et des risques.

A qui s’adresse la finance islamique ? Et quels sont les avantages pour le particulier comme pour l’entreprise de recourir à la finance islamique ? 

Il y a deux cibles:

- la première concerne le marché des gens de confession musulmane. Ces personnes souhaitent que leur argent soit investi en conformité avec leurs valeurs religieuses. Ça transcende toutes les couches sociales.

- la seconde concerne ceux qui pensent que le système financier actuel dit conventionnel ne répond pas à leurs attentes en termes...

d’équité.

La finance islamique semble ne pas avoir été affectée par les crises financières. Peut-on en déduire qu’elle a moins de risque d’être impactée par ce type de perturbations ?

Toutes les études montrent que les banques islamiques ont été largement moins touchées. Il n’y a eu aucune faillite d’établissements de ce genre. Les banques islamiques ont simplement été impactées par la frilosité des banques conventionnelles car il y a forcément des interactions. Le poids de la finance islamique représente 1% de la finance normale. Elle est effectivement moins contrainte à des crises cycliques.

On entend souvent parler de Sukuk comme produit phare de la finance islamique. Concrètement, qu’est ce que c’est ?

Le Sukuk est une obligation qui se base sur le principe de partage des pertes et des profits en finance islamique. A la différence de l’obligation classique, le Sukuk est adossé à un actif tangible. Il confère à l’investisseur une part de propriété dans un actif sous-jacent identifié préalablement à l’émission. Les détenteurs de Sukuk jouissent de l’usufruit de cet actif à hauteur du montant de leur investissement. Par conséquent, leur rémunération dépend de la performance du sous-jacent. La plupart des structurations de Sukuk font intervenir une entité dédiée qui détient l’actif sous-jacent et qui expose les investisseurs à un risque de crédit.

En 1997, les Etats-Unis avaient donné leur accord pour les premières banques islamiques. Le Maroc semble à la traîne en la matière. Pourquoi le Royaume s’ouvre-t-il tardivement à la finance islamique alors qu’il est un pays musulman ?

La finance islamique ne se développe que maintenant car il n’y avait pas assez de recul auparavant. La finance islamique moderne n’a que 40 ans, et elle n’est jamais venue des pays arabes, mais des pays de l’Asie du Sud-Est, notamment de la Malaisie. Puis, ce sont les pays européens qui se sont approprié ce type de finance comme le Royaume-Uni ou le Luxembourg.

Les modèles qu’on a donc pu voir émerger ont créé ensuite une sorte de poussée. Et le Maroc a été pragmatique. Il a su se positionner de manière prudente. Et il se doit d’être réfléchi, car sa réussite est scrutée par l’Europe et l’Afrique. Son développement se pose dans une dynamique régionale. Le Maroc s’est donc appuyé sur des expériences de réussite et des alliances internationales. Le royaume a importé l’expertise internationale sur le champ marocain pour développer une place financière sûre et pouvoir devenir un hub incontournable en Afrique.

 

La finance islamique en quelques chiffres :

- un marché de 800 milliards de dollars ;

- un taux de croissance annuel moyen supérieur à 15% ;

- en 2020, elle devrait représenter 1.300 milliards de dollars ;

- 40 millions des 1,6 milliard de musulmans dans le monde sont aujourd’hui clients de la finance islamique ;

- la Malaisie reste le principal marché émetteur devant l’Arabie saoudite et les Émirats arabes.

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