Le Tracteur et la Lanterne… tuer ou être tué, par Taoufiq Bouachrine

Le Tracteur et la Lanterne… tuer ou être tué, par Taoufiq Bouachrine

Entre le PAM et le PJD, une entente serait-elle possible, une alliance serait-elle envisageable ? En principe, tout est possible en politique car les responsables sont généralement réalistes et pragmatiques, faisant en permanence des calculs, pesant le pour et le contre, évaluant le contre et le pour, tournant avec le soleil et s’adaptant aux conjonctures. Les partis ne sont pas des officines idéologiques ou confessionnelles qui ne changent jamais de dogme…

Mais dans la pratique, on peut affirmer qu’un rapprochement entre les deux formations paraît impossible, aujourd’hui comme plus tard. En effet, le PJD ne considère son positionnement et son identité politiques que dans la confrontation avec le PAM et son nouveau chef Ilyas el Omari ; le discours politique du PJD ne devient véritablement attirant auprès du public que quand il égratigne, et même plus, le PAM. Et puisque le PAM n’a été créé que pour se dresser face au PJD et pour contenir les islamistes institutionnels, Benkirane ne pourrait ni ne saurait oublier cette animosité qu’il rumine et qui l’anime à l’égard du Tracteur…

Le PAM, pour sa part, ne devrait pas avoir trop de scrupules à contracter une alliance avec la Lanterne du PJD, étant donné qu’il n’est pas parvenu à l’éradiquer. Une telle alliance serait largement en faveur d’Ilyas el Omari et de sa formation car elle vaudrait reconnaissance politique de la part de son ennemi le plus farouche, d’une part et, d’autre part, elle priverait Benkirane de son formidable atout propagandiste qu’il mettait en avant pour attaquer l’ « Etat profond » en usant et abusant de son hégémonisme…

Les frères de Benkirane attendaient des signaux politiques du 3ème congrès du PAM, allant dans le sens de la détente entre les deux adversaires, si ce n’est d’une normalisation de leurs relations. Le chef du gouvernement, et du PJD, attendait une sorte de mea culpa du PAM pour tout ce que ce parti avait commis à l’encontre des autres partis et aussi pour sa très forte hostilité envers le PJD. Benkirane aurait également voulu voir une autre personne accéder au secrétariat général qu’Ilyas el Omari, son ennemi intime et néanmoins principal et unique, indiqué comme le maestro de la domination de la scène politique.

Mais rien de cela ne s’est produit ce 22 janvier, à l’ouverture du congrès du PAM… au point que dans le mot d’ouverture de cette grand-messe, on avait oublié de souhaiter la bienvenue à Lahcen Daoudi, le représentant du PJD au congrès. Il avait fallu l’intervention de Mohamed Cheikh Biadillah pour corriger l’oubli… Puis Ilyas el Omari, prenant la parole, s’était livré à une véritable démonstration de...

force en parlant de l’ouverture prochaine de 300 sections locales et régionales du parti, qui doivent encadrer une centaine de milliers d’adhérents, un chiffre par trop exagéré car même l’USFP au temps de sa splendeur n’était pas arrivée à ce chiffre, ni l’Istiqlal à ses moments de gloire, ni même le PJD en son actuelle ascension…

Mais alors, que signifie cette rude polarisation vers laquelle s’achemine la scène politique nationale à 8 mois de la seconde élection législative après la nouvelle constitution et le printemps arabe ? Deux choses.

1/ Les deux partis iront au scrutin avec une mentalité de gladiateur : tuer ou être tué. Perdre à plate couture ou gagner sans partage. Et cela se fera au détriment des autres partis qui peineront à exister et à se trouver une place sur l’échiquier politique. La ville est aux mains du PJD et la campagne est tenue par le PAM qui, désireux de s’accaparer une place au soleil dans les agglomérations où il n’a pas de grandes chances de s’installer, ira récupérer ce qui reste de notables évoluant au sein des autres partis, essentiellement au RNI, au MP, à l’Istiqlal et à l’USFP. Cela signifie l’affaiblissement des partis et l’acheminement de la scène politique marocaine vers une polarisation non naturelle entre PAM et PJD.

2/ Une telle campagne, prévue sous de tels auspices, privera le Maroc de débats politiques et de réflexions sociétales. Pas de programmes, pas de projets, pas d’idées et pas de bilan… Au lieu que Benkirane et sa formation n’exposent le bilan de leur 5 ans aux affaires, ils iront causer d’Ilyas el Omari, de son parti, de son histoire, en guise de programme électoral. Et au lieu que le PJD ne réponde aux interrogations sur le chômage, l’indépendance de la justice, la réalité des droits de l’Homme, la croissance et ses projets de réformes, il préférera se présenter en victime des « démons et des crocodiles », entre autres créatures maléfiques créées par le PAM et ceux qui le soutiennent… Et la même chose se produira pour el Omari, qui ne parlera pas de chômage, de précarité, d’exclusion, de croissance et de positionnement régional et continental du Maroc, mais qui ira expliquer urbi et orbi que son vœu est de défendre les musulmans contre les islamistes, qu’il souhaite promouvoir un Etat civil commandé par la Commanderie des croyants et qu’il est le dernier rempart contre les obscurantistes qui menacent tant à ses yeux « la marocanité », ou « tamgherbit »…

Reste donc les deux questions fondamentales : Quel rôle jouera l’Etat et où placera-t-il son curseur entre les deux challengers ? Les Marocains, du moins les plus politisés, accepteront-ils cette nouvelle règle du jeu bipolaire ? L’avenir répondra.

Akhbar Alyoum

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