La colère de l’Etat, par Taoufiq Bouachrine

La colère de l’Etat, par Taoufiq Bouachrine

Un Etat peut se mettre en colère, comme un individu… et quand il s’énerve, il perd ses esprits, puis commet des erreurs, grandes ou petites… toujours comme le ferait un individu. La différence entre les deux colères est que celle d’une personne n’a pas de grandes conséquences sur autrui, contrairement à celle d’un Etat. Celle-ci coûte cher au pays concerné et peut faire des victimes, individuelles ou collectives, en plus d’induire des sentiments d’injustice et de hogra.

Or, je ne vois pas d’autre explication au problème de l’Etat marocain avec l’historien Maâti Monjib que la colère et ses conséquences imprévisibles. Je ne vois pas non plus d’autre motif qu’un grand malentendu issu d’un manque d’habitude de notre Etat à accepter la contradiction et des avis contraires aux siens. Je ne vois pas enfin d’autre interprétation que cette incapacité à garder son calme face aux opposants. L’autorité en notre pays a perdu patience face à cette marge de liberté qui procure à tous une liberté d’expression, ici et ailleurs, sans tension ni crispation, et sans volonté aussi de faire taire les gens ou de vengeance…

Quel est donc le tort ou la faute commise par l’historien, militant et chercheur Maâti Monjib qui a tissé, des années durant, un large réseau de relations et d’amitiés avec des centres de recherche et des universités en Europe et en Amérique ? Quel est donc ce crime commis par le directeur du Centre Ibnou Rochd pour se voir ainsi interdit de quitter le territoire ? Dans quelle forfaiture est-il donc impliqué et qui lui vaut tous ces tourments ?

Cet homme avait créé un centre d’études et de recherches, qu’il avait appelé Ibnou Rochd (Averroès) et auquel il avait donné dès le départ le statut de SARL relevant du droit commercial. Monjib ne s’est jamais dissimulé derrière un régime d’association à but non lucratif, comme le font tant et tant de personnes pour échapper à l’impôt. Maâti Monjib a donc travaillé des années avec des institutions nationales ou non, des universités, locales ou étrangères et des organismes d’ici ou d’ailleurs, présentant des études, proposant des consultations, organisant des conférences et des stages.

Jusque-là, tout semble bien normal… mais ce qui a énervé les centres de pouvoir renfermés sur eux-mêmes est que l’homme parle avec liberté et aisance, outrepassant les lignes rouges au Maroc ou en dehors du Maroc… alors même que les chercheurs, les journalistes et les intellectuels s’en tiennent à un cahier des charges non déclaré, officieux, non-dit, un cahier des charges dominé par un plafond de libertés en matière de liberté d’opinion et d’expression.

Autrement dit, Maâti Monjib s’est libéré du carcan de l’autocensure et a évolué sans prendre garde aux limites de ce carcan et aux indications et signaux qu’il aurait pu lui adresser s’il...

l’avait été laissé en fonction. Et donc, quand les avis et prises de positions de Monjib ont commencé à apparaître dans des rapports de Human Rights Watch, dans des articles et éditos de journaux américains et dans des études de centres de recherche un peu partout, l’Etat marocain a perdu patience et a commencé à voir dans l’historien un adversaire qui lui dispute son autorité et écorne l’image de lui-même qu’il veut vendre à l’étranger.

Alors ce même Etat, au lieu d’entreprendre les démarches adéquates en pareil cas, au lieu d’essayer de convaincre et de communiquer, au lieu de répondre à un avis par un avis contraire et à une évaluation par une évaluation inverse… au lieu de tout cela, l’Etat a préféré agir de la manière qu’il connaît… l’intimidation, pour ne pas dire la répression… On a commencé par interdire à cet homme de quitter le territoire, le bloquant physiquement dans ses mouvements alors que son esprit est resté libre dans ses pérégrinations… puis on est passé à la fermeture du centre, et ensuite on s’est intéressé à ses comptes bancaires… tout cela sans préjudice pour les campagnes médiatiques de type « chope-le ! » (déformé en « tchablih ! »)…

Et voilà donc que Maâti Monjib a été médiatiquement déclaré coupable, avant même que la magistrature assise ne lui consacre une enquête préliminaire, avant que son homologue debout ne procédé à une qualification de son crime ou délit, et avant que la police ne l’épuise avec ses interrogatoires aussi longs qu’éprouvants…

Ce pays, ce Maroc-là, avec toute la dynamique politique qu’il connaît, avec tous ses acquis en matière d’ouverture et de transition démocratiques, avec toute son histoire et sa place dans le monde, ne réussit-il donc pas à supporter les avis de Maâti, les opinions de celui qui ne reste qu’un simple individu, quelles que soient ses relations et ses amitiés ?

Chers vous, le pays est bien plus grand que ce type de réactions qui sont les vôtres, et nous n’avons nul besoin de pétitions internationales de soutien à un homme qui a choisi de rester dans son pays et d’y travailler, d’y militer et de participer de l’intérieur à son évolution démocratique, à sa manière !

Un jour, l’intellectuel marocain Abdelhaq Serhane a écrit ceci : « Savez-vous que le Maroc est le plus beau pays du monde, et que la paternité de cette expression touristique revient à l’écrivain-aviateur français Saint-Exupéry qui a admiré la blancheur de la neige, contemplé la verdure des plaines, apprécié le bleu des fleuves et des rivières et qui s’est laissé transporter par les couleurs mordorées des dunes, à partir de la hauteur que lui procurait son avion de l’Aéropostale et qui lui a permis d’inventer sa fameuse expression. Mais nous, nous autres Marocains, nous voyons le Maroc du bas, d’en bas, et nous rêvons d’une vie et d’un avenir meilleurs ».

Akhbar Alyoum

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