La folle semaine de Mohammed VI

La folle semaine de Mohammed VI

Cela fait 15 ans qu’il sillonne le pays en long et en large, inaugurant à tour de bras et supervisant ensuite. Depuis deux ans, il a élargi son champ d’intervention, ajoutant aux inaugurations locales celles d’autres chantiers dans d’autres pays, en Afrique.  Mais la semaine écoulée a été particulièrement animée, avec les activités officielles, connues, et celles que l’on devine dans l’agenda du chef de l’Etat. Retour sur cette semaine où Mohammed VI a été tour à tour roi, commandeur des croyants et chef des armées.

Ainsi, mardi 12 mai, Mohammed VI décide d’écarter du gouvernement, et d’un seul coup, trois ministres. La constitution dit ce qu’elle veut, mais on sait qu’au Maroc, comme partout ailleurs au demeurant, c’est le chef de l’Etat qui décide de ce genre de choses, laissant quand même une petite marge de manœuvre et de choix à son chef du gouvernement, et le laissant surtout aller proclamer ses vérités devant les micros et les caméras.  Révoquer des ministres et demander à en appeler d’autres n’est jamais une mince affaire pour un chef d’Etat, même au Maroc, car les gouvernements sont toujours des affaires d’équilibres très fins, parfois savants. Et, pour notre cas, les ministres révoqués sont au cœur de plusieurs scandales, de cœur ou de douceurs… En révoquant « le couple » (sachant que Benkirane ne s’y résignait pas), le roi a adressé un signal aux modernistes et a affiché sa position de modernité.

Vendredi 16 mai, le roi reçoit le directeur de la DST, et le nomme en plus directeur de la police. Le choix est certes judicieux, Abdellatif Hammouchi ayant largement montré son savoir-faire et plus même, son talent. Mais la décision n’est pas anodine car on apprend trois jours plus tard que les juges français persistent et signent, saisissant par les canaux judiciaires et selon l’AFP, leurs homologues marocains, pour une affaire de torture dont le principal concerné est… Abdellatif Hammouchi (on se rappelle de la brouille que cela avait créé entre Rabat et Paris). Le roi Mohammed VI, en procédant à cette nomination, a su faire d’une pierre deux coups : renforcer la direction policière par un responsable de talent,  et réaffirmer sa confiance dans cet homme qui a su se montrer intraitable dans la lutte antiterroriste, malgré les intrigues de la France judiciaire. Joli coup puisque Hammouchi a été décoré par l'Espagne, s'apprête à l'être par la France officielle et tout le monde au Maroc a applaudi sa promotion.

Le lendemain samedi, le roi Mohammed VI fait face à l’un des plus grands enjeux sociétaux de son règne. Une lutte sourde entre les deux camps moderniste et conservateur, cristallisée dans la problématique de l’avortement et, au-delà, cette question...

est devenue un grave problème de santé publique. Le roi devait arbitrer, un œil sur le passé traditionnaliste de la société, l’autre sur le présent sanitaire du pays, et le regard tourné vers l’avenir des libertés et de la condition de la femme… avec la Commanderie des croyants au centre. Mohammed VI coupe la poire en deux, et règle l’affaire en partie, parant en fait au plus pressé à travers la légalisation des cas extrêmes, mais publiant un communiqué qui laisse grande ouverte la porte sur d’éventuelles et futures avancées. Il avait reçu les deux camps séparément le 16 mars, il les reçoit groupés deux mois après, jour pour jour. Les images et le message sont clairs : « J’ai rempli ma part de contrat, en arbitrage, remplissez la vôtre, par la concertation, et avançons ». Mardi, le souverain avait agi en donnant un gage de modernité, et samedi, il avait équilibré les choses en laissant (provisoirement ?) une avantage aux conservateurs.

Lundi et mardi, inaugurations diverses et lancements de chantiers.

Mercredi, le souverain nomme ses nouveaux ministres. Contrairement à la révocation où Mohammed VI avait intervenu, par démissions indirectement suggérées pour cause de scandale et de détérioration d’une certaine image extérieure du Maroc, cette fois-ci, il est clair que la constitution a joué à fond, au vu des ministres nommés. En effet, c’est le chef du gouvernement qui semble avoir eu la main sur la proposition des personnages désignés, tant au PJD qu’au MP. Compétents sans doute, c’est la nouvelle règle, mais à l’utilité douteuse. Le chef du gouvernement a des équilibres à maintenir, et le roi l’y a aidé.

Mercredi toujours, Mohammed VI reçoit le président du Conseil de l’Education et de la Formation, Omar Azzimane, qui semblait aussi pressé par le temps que stressé de ne pas être dans les temps. Alors il a finalement servi sa version stratégique pour l’éducation et l’enseignement au Maroc ; là aussi, dans le débat national sur les langues d’enseignement, un consensus a été trouvé, et le système éducatif pourrait faire un grand bond en avant, si la suite est assurée. Azzimane devra rassurer et on peut être sûr que le roi va le… pressurer.

Et mercredi enfin, le roi reçoit le père du jeune pilote mort dans le crash de son F-16 au Yémen, avec les honneurs dus à sa qualité, rejoignant l’ensemble des Marocains dans la tristesse qu’ils ont ressentie suite à la mort du lieutenant Bahti.

Toutes ces affaires de portée nationale ont été réglées à la hussarde, dans un timing parfait et une succession bien mesurée. Le roi pouvait donc partir s’occuper du Maroc à l’étranger, en commençant une longue et marathonienne tournée africaine.

Aziz Boucetta

 

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