Pourquoi il ne faut pas montrer les images du F-16 marocain tombé au Yémen, par Aziz Boucetta

Pourquoi il ne faut pas montrer les images du F-16 marocain tombé au Yémen, par Aziz Boucetta

Un chasseur de l’armée de l’air marocaine est tombé au Yémen dimanche après-midi. Panne technique ou missile sol-air, peu importe. On le saura bientôt, ou jamais, peu importe encore. L’avion, un F-16, s’est écrasé, ses débris dispersés dans le désert aride du Yémen. Des images de ces morceaux ont largement circulé sur les réseaux sociaux, ainsi que sur plusieurs sites d’information marocains. Il ne fallait pas, et voici pourquoi.

1/ Un homme est mort.

L’officier, présenté sous l’identité du lieutenant B., est mort. Il était jeune, et il était brillant. Ne pilote pas un avion de chasse qui veut, mais quelqu’un qui a passé toute une série d’épreuves, après toute une série d’examens. Il a choisi la carrière militaire, au lieu d’un autre métier qui aurait pu l’enrichir, sans risque. Il mérite le respect pour cela, et sa mémoire aussi. On ne doit pas le montrer, mort, le corps sans doute outragé… même en images floutées. De plus, il avait une famille, des parents sans doute, une épouse probablement, de jeunes enfants peut-être. Y a-t-on pensé ? Non.

2/ Une épave portant cocarde marocaine.

Dans tout pays qui se respecte, et dont les médias ont une certaine idée de leur métier, on ne montre pas les images des débris de son armée. Partout dans le monde, quand une armée est engagée, sa population la protège du mieux qu’elle peut, et le moins qu’elle puisse faire est de la montrer à son avantage… et surtout de ne pas la présenter à son désavantage. Matériel cassé, débris brandis devant une caméra par des combattants houthis qui dansaient, cheveux hirsutes, poignard à la ceinture et regard allumé au qat, promettant pis que pire au Maroc et à ses alliés. En publiant ces images, on a fait exactement ce qu’il ne fallait pas : montrer l’avion marocain détruit face à ses ennemis triomphants.

3/ D’autres militaires sont toujours au front.

Sur le terrain, en mer ou dans les airs, un front...

est un front. D’autres militaires sont engagés au Yémen, et sans doute aussi en Mésopotamie. On peut être certain que l’armée ne leur a pas présenté les images du F-16 au sol, détruit, disloqué. Pourquoi les civils le font-ils, instillant la peur dans les cœurs de ces hommes, qui restent des hommes, et distillant la terreur dans les esprits des leurs, restés ici au Maroc ? Il ne faut pas craindre les mots, on craint la mort. Et on la tait, quand une armée est en campagne. Tout le monde se rappelle encore des images terribles du jeune capitaine jordanien el Kassasbeh, mort brûlé vif par les criminels de Daech. Tout le monde a dû penser au sort qui aurait été réservé au défunt pilote marocain s’il avait été capturé vif par les Houthis.

4/ Une propagande des ennemis.

Un homme montre l’ordre de mission du pilote tué. Un document rarissime et qu’on ne doit pas voir. On ne regarde pas les documents confidentiels d’une opération militaire en cours. Il y a des règles dans la vie. Il faut les respecter. Cette « culture » de l’image et du partage les bouscule, mais les fondamentaux eux, restent inchangés. Et parmi ces fondamentaux, celui de ne pas faire le jeu de l’ennemi, de ne pas l’aider à faire sa propagande. En publiant les images du F-16 au sol, la photo du corps du pilote, et la vidéo des Houthis sourire aux lèvres et imprécation à la lippe, c’est ce qu’on a fait. On a donné la parole aux Houthis que notre « grande muette » combat. Tirer profit du moment présent pour dénoncer cet engagement du Maroc aux côtés de l’Arabie Saoudite n’est ni délicat, ni intelligent. On ne donne pas la parole aux ennemis.

Les idées et arguments exposés ne participent pas d’un chauvinisme exacerbé, d’un nationalisme béat ou d’un patriotisme paroxysmique… ils relèvent tout simplement d’une pratique universelle de soutien à une armée engagée dans un conflit et d’empathie avec des soldats risquant leur vie.

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