Le roi Mohammed VI en tournée dans les pays du Golfe

Le roi Mohammed VI en tournée dans les pays du Golfe

La diplomatie marocaine connaît un tournant. Elle est active, engagée et surtout, suivie de près par celui dont elle est le domaine réservé, Mohammed VI. Alors que les forces armées marocaines participent aux guerres du Moyen-Orient, en Irak-Syrie contre l’organisation dite  « Etat islamique », ou Daech, et au Yémen, le roi Mohammed VI effectue une tournée dans la région. Les sujets sont multiples, mais porteront essentiellement sur l’aspect militaire de la coopération avec les pays du Golfe et sur les échanges économiques et financiers, corollaire du rapprochement militaire et sécuritaire.

En 2011, au plus fort du printemps arabe, les six pays du Golfe (Arabie Saoudite, Koweït, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Oman et Qatar) avaient proposé un renforcement de la coopération entre le Conseil du Golfe et les deux autres monarchies que sont la Jordanie et le Maroc. Cela semblait une utopie mais le temps a fait son œuvre. Alors que la Jordanie ne dispose pas des atouts économiques, militaires et démographiques du Maroc, c’est ce dernier pays qui suscite un intérêt de plus en plus important des monarchies pétrolières de la péninsule arabe.

Globalement, l’accord est que le Maroc soutienne sur les plans sécuritaire et militaire les pays du Golfe qui, en contrepartie, déversent une manne financière sur le royaume.

La conjoncture politique au Moyen-Orient

Depuis le début du siècle et avec les années Bush, marquées par la présence des néoconservateurs et leur agressivité politique et économique, et depuis aussi le printemps arabe qui a permis aux Arabes de comprendre qu’il n’y avait plus grand-chose de bon et de sérieux à attendre des puissances occidentales, les pays du Golfe ont décidé de prendre à bras-le-corps leur sécurité, et de réorienter leurs investissements. Pour cela, ils n’ont pas trouvé d’allié plus sérieux et crédible que le Maroc.

Aussi, lors de l’été 2014, des accords stratégiques ont été passés avec les Emirats Arabes Unis et les Forces royal air sont, depuis, basées dans ce pays. Les chasseurs marocains sont intervenus contre Daech puis, plus récemment, à partir de leurs camps émiratis, ont pris part également à l’opération « Tempête de fermeté », menée et dirigée par l’Arabie Saoudite contre les rebelles Houthis au Yémen.

Le nouveau roi saoudien, Salmane ben Abdelaziz, a rencontré en 24 heures les chefs d’Etat égyptien, puis marocain, au moment même où des informations font état d’une intervention terrestre de la coalition arabe au Yémen. La délégation accompagnant le roi Mohammed VI évoque d’une manière éloquente la nature des discussions que Mohammed VI a eues, ou doit avoir, à Riyad et à Abu Dhabi. Ainsi, l’inspecteur général des forces armées Bouchaïb Arroub et le patron du renseignement extérieur Yassine Mansouri sont du voyage, en plus du conseiller spécial (et diplomatique) Fouad Ali el Himma.

Enfin, et contrairement aux autres pays, arabes ou occidentaux, le Maroc entretient de solides relations personnelles avec les dirigeants du Golfe, régnant ou aux commandes de leurs pays. Aussi, les récents changements intervenus dans la pyramide de pouvoir saoudienne ne devraient pas fortement perturber les relations entre Rabat et Riyad.

Sur le plan politique et militaire

Selon l’ancien ministre des Affaires étrangères Saâdeddine el Otmani, le Maroc joue sa propre partition, décidant de s’engager avec son armée aussi bien en Syrie qu’au Yémen, alors que l’Egypte est...

présente sur ce second front mais pas contre Daech, inversement à l’attitude de la Turquie. Le Maroc, contrairement à ces deux puissances régionales, est géographiquement éloigné des théâtres d’opération, ce qui lui permet une plus grande marge de manœuvre sans crainte de répercussions ou d‘actions directes sur son territoire, en plus du fait que les alliances avec les pétromonarchies datent de plusieurs dizaines d’années et ne sont pas tributaires de la personne du chef de l’Etat, différemment à la situation changeante au Caire et à Ankara.

De plus, la participation physique du Maroc aux opérations en cours se caractérise par deux éléments : la discrétion et la diversité. Le Maroc ne communique pas, ou très peu, sur les opérations menées par son armée, ne faisant que réagir à des indications parues sur d’autres médias, et l’engagement des services marocains, dont l’expertise est connue et reconnue en matière de collecte, d’analyse et de traitement des données, est également décisive.

Par ailleurs, conséquence directe de l’engagement du Maroc aux côtés de Riyad, le communiqué publié suite à la réunion entre les deux rois réaffirme clairement et explicitement le soutien saoudien à la marocanité du Sahara ; ce soutien semble venir en parallèle à celui de Mohammed VI sur l’intégrité de l’Arabie saoudite et sa protection contre toute menace extérieure qui pèserait sur elle, en plus de l’engagement du Maroc a intervenir pour garantir la paix et la stabilité dans la région, dont dépendent celles du royaume saoudien.

Le soutien de Riyad est important, et sonne comme un glas pour les relations entre l’Arabie saoudite et Alger, qui paie le prix de son opposition à l’opération « tempête de fermeté » et de son unilatéralisme en matière de lutte contre le terrorisme, avec les succès qu’on sait.

La dimension économique

Non seulement elle n’est plus à prouver mais elle se renforce et se confirme de mois en mois, d’année en année. Le rachat de Maroc Telecom par Etisalat, l’arrivée massive du fonds d’investissement Wessal sur notre sol, les puissantes injections de fonds du prince Walib bin Talal… autant d’éléments qui confirment le choix stratégique opéré par les pétromonarchies pour le Maroc.

Par ailleurs, et depuis les années Bush, les Arabes cherchent de nouveaux débouchés pour leur argent, ayant perdu une grande partie de la confiance placée naguère dans le système financier occidental ; or, le Maroc, de par son ouverture sur l’Afrique et ses marchés tant économiques que financiers, procure une autre opportunité d’investissement des pétrodollars. Les pays africains, pour leur part, tentent de se défaire de l’influence française et cherchent de nouveaux investisseurs. Tout apparaît donc comme si le Maroc puisait ses ressources dans le Golfe, pour les injecter, via ses banques, dans les économies africaines, ce qui permet à Mohammed VI de jouer sur les trois fonts, arabe en trouvant de nouveaux débouchés aux pétrodollars, africain en finançant massivement les déficits publics et l’économie, et occidental, en se posant désormais en intermédiaire incontournable dans les relations du Nord avec le Golfe et l’Afrique.

Le Maroc a donc imprimé un véritable tournant à sa diplomatie, tant sur les plans sécuritaire que militaire, politique qu’économique. Et cela justifie et explique la récente tournée des potes et des popotes du roi Mohammed VI en terre arabe…

Aziz Boucetta

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