Rapport annuel 2013 de la Cour des comptes : aperçu des failles

Rapport annuel 2013 de la Cour des comptes : aperçu des failles

C’est fait. Driss Jettou, le président de la Cour des Comptes vient de livrer le rapport de 2013 au roi Mohammed VI. Le document, mis en ligne sur le site de l’institution, reprend les principales observations relevées par les juridictions financières en matière de contrôle de la gestion et de l’emploi des fonds publics.

Globalement, il s’agit de savoir comment est utilisé l’argent public, s’il est éventuellement détourné, s’il est mal employé et quelles sont les mesures à prendre, pour redresser ce qui doit l’être ou pour  sanctionner ceux qui peuvent l’être.  En effet, aux personnes qui pensent que le rapport de la Cour des Comptes est uniquement à but d’information et qu’il n’implique pas de sanctions, l’organisme montre que c’est faux. La Cour confirme qu’en matière de discipline budgétaire et financière, des poursuites ont été engagées à l’encontre de 32 personnes et 98 jugements et arrêts ont été rendus. Ces jugements ont condamné à des amendes et ordonnent aux personnes mises en cause le remboursement des sommes correspondant aux pertes causées aux organismes concernés.

Avant de s’intéresser à la radioscopie des institutions auditées, la Cour des Comptes dit avoir relever plusieurs difficultés qui persistent et qui entravent la mise en œuvre des recommandations. Ces difficultés sont en relation avec le manque d’implication des autres parties concernées. Mais cela n’empêche pas l’institution présidée par Jettou de confondre les différentes administrations et entreprises publiques,  tout en leur donnant bien entendu la possibilité de répondre. Dans ce rapport annuel 2013, les réponses sont ainsi bien mentionnées dans un souci de transparence et de traçabilité.

Le rapport annuel présente le résumé des 16 missions de la Cour des Comptes. La nouveauté de ce rapport concerne également une démarche thématique avec des remarques sur  le fonds Maroc Numéric et sur les dépenses fiscales. La Cour note que le poids de ces dépenses dans les finances publiques a atteint, au fil des années, des proportions assez importantes. En 2014, leur montant a atteint 34,65 milliards de DH, soit 17,1% du total des recettes fiscales et 3,8% du PIB.

Le ministère de la santé, la société Al Omrane, le Fonds de solidarité habitat et intégration urbaine, le Fonds de développement agricole, l’Office national du marocain de tourisme, l’Agence marocaine de développement des investissements, l’Agence nationale pour la promotion de la petite et moyenne entreprise,  la Maison de l’Artisan,  l’Ecole des sciences de l’information, l’Ecole supérieure de technologie de Meknès et la  Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc… Toutes ces institutions ont été passées au crible et chacune a ses propres  failles. PanoraPost propose  de passer en revue quelques-unes de ces institutions. Extraits du rapport.

Le ministère de la Santé, une carte sanitaire en souffrance

La carte sanitaire définit tant au niveau national que régional, les types d’infrastructures et d’installations sanitaires, ainsi que les normes et les modalités de leur implantation territoriale. Mais selon la Cour des Comptes, le ministère de la Santé semble ignorer l’importance de cette carte. « Le Ministère de la santé ne dispose pas encore d’une carte sanitaire telle qu’elle est définie par la loi ». En plus, les critères de programmation retenus pour la création des établissements hospitaliers n’ont pratiquement subi aucun changement depuis le dernier plan quinquennal. La Cour des Comptes recommande au Ministère de la Santé d’activer la mise en œuvre de la carte sanitaire telle qu’elle est prévue par la loi cadre n°34-09 et de mettre en place les schémas régionaux de l’offre de soins.

Dans sa réponse, le ministère de la justifie cette problématique de la carte sanitaire par le fait que la loi n’a été votée en conseil du gouvernement qu’en novembre 2014.  La Cour des Comptes reproche également au ministère de la Santé la non-maitrise des coûts de réalisation des infrastructures sanitaires. « L’appréciation des coûts globaux de réalisation de certains projets, a révélé des dépassements importants par rapport aux prévisions ». La Cour recommande donc au ministère de veiller à la maîtrise des coûts de réalisation des projets de construction des établissements de santé. A cette remarque, le ministère de la Santé a une réponse toute faite : « Certaines modifications sur des projets sont causées en partie par des facteurs externes suite à la rentrée en vigueur de certaines lois ou normes techniques dans des phases avancées des projets, ce qui remet en question les études initiales à l’instar du nouveau guide référentiel de la protection civile régissant la sécurité incendie en 2011 ».

La Cour parle également d’état critique des infrastructures des formations sanitaires.  La non conformité de la conception architecturale de certains services avec les normes sanitaires, comme c’est le cas pour les services de radiologie et de traumatologie du CHR Tétouan et la pharmacie provinciale du CHPLM Larache.  L’étanchéité de plusieurs parties de ces établissements est défectueuse, laissant apparaître des infiltrations au niveau des joints de construction dans plusieurs établissements. Là aussi le ministère de la Santé a du pain sur la planche.

Al Omrane : l’habitat social, ce parent pauvre…

Les superficies affectées aux habitats de prévention et aux logements sociaux sont limitées, avec des taux respectifs de 0,13% et 0,14% des terrains exploités. La Cour des Comptes recommande à la société al Omrane Rabat la reconstitution de ses réserves foncières. Pour la deuxième catégorie de logements sociaux (à 250.000 DH), Al Omrane a pris en charge la mise en œuvre de quatre conventions avec une consistance globale de 5.630 unités, dont 1.714 à achever en 2013. « A ce niveau, il convient de noter que le taux de réalisation des engagements est faible et ne dépasse pas...

17%. En effet, sur les 1.714 unités à terminer en 2013 seules 296 ont été déclarées achevées ». De plus, sur l’ensemble des unités livrées (296 unités), seules 100 sont effectivement vendues aux bénéficiaires. La Cour des Comptes recommande à la société al Omrane Rabat d’accroître le rythme de réalisation des logements sociaux et d’achever les procédures administratives pour activer leur attribution. 

Fonds de développement agricole : de (sérieux) problèmes de gouvernance

La Cour des Comptes a effectué une mission de contrôle de la gestion du FDA, qui a permis de relever des observations et de formuler des recommandations visant l’amélioration des procédures en vigueur. Son contrôle a porté notamment sur la gouvernance, les réunions non régulières du comité technique et les recommandations non mises en œuvre. La Cour recommande entre autres de veiller au mieux à la vérification du respect des conditions d’éligibilité à l’aide financière, une remarque quand même lourde de sens, si les mots en ont un…

ONMT : quel positionnement ?

Il a été relevé une révision fréquente du positionnement sans qu’il ne soit appuyé par une documentation et des analyses de marché qui renseigneraient sur les changements intervenus. Cela dénote d’une non-intégration dans le processus de planification des éléments de l’analyse des facteurs susceptibles d’affecter les activités de promotion de l’ONMT.

En matière de définition des objectifs de pilotage et d'évaluation, la Cour  constate que la mise en œuvre des actions nécessaires à la réalisation des objectifs s’effectue sans l’aide d’un système de pilotage. Aussi, sur le plan marketing, le premier arrêté par l’ONMT ne définit pas des objectifs par catégorie de marché ayant des caractéristiques communes. Seules y sont arrêtées, de manière sommaire, les différentes actions de communication à entreprendre au niveau de chaque marché, pris isolément. Ce plan demeure, par ailleurs, muet au sujet des allocations budgétaires nécessaires à sa mise en œuvre.

Parallèlement à la requalification des marchés cibles, l’ONMT a abandonné la logique d’allocation de ressources en fonction du positionnement.  De plus, le montage des plans marketing et de communication au niveau de chaque marché et l’allocation des ressources budgétaires n’obéissent pas à des critères objectifs qui tiendraient compte des spécificités de chaque catégorie de marché selon le positionnement arrêté par le plan stratégique.

L’école des sciences de l’information : la formation actuelle non adaptée au marché

L’école des sciences de l’information (ESI) à Rabat n’a pas été épargnée. La Cour des comptes a relevé plusieurs dysfonctionnement tant sur le plan organisationnel que sur le plan du contenu et de l’ambition des cours qui sont dispensés aux étudiants. L’ESI connait un sous-effectif accru des professeurs permanents.

Cette situation résulte de l’opération de départ volontaire organisée en 2005. L’école compte actuellement 23 enseignants dont 9 récemment recrutés. Selon les conditions prévues dans les dispositions du décret n°2-96-793 du 19 février 1997 formant statut particulier des enseignants chercheurs de l’enseignement supérieur, seuls quatre professeurs remplissent les conditions requises pour enseigner des cours magistraux.  L’ESI recourt excessivement aux professeurs vacataires pour combler le déficit, soit 53 professeurs au titre de l’année universitaire 2013/2014. Ainsi, les vacataires ont assuré 107 cours et travaux dirigés en 2013-2014 avec un volume horaire total de l’ordre de 2.936 heures.

Le  nombre de lauréats  est aussi en deçà des besoins du marché. Les lauréats formés chaque année sont passés de 77 à 103 de l’année universitaire 2007-2008 à celle de 2012-2013. D’après les résultats de l’enquête sur les besoins en professionnels des sciences de l’information réalisée par l’ESI, le besoin annuel est de 394, dont 267 informaticiens et informaticiens spécialisés. En conséquence, le rythme actuel de formation n’est pas en mesure de répondre aux besoins du marché de l’emploi.

Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc : volume des collections en souffrance

L’examen des bilans des activités de la BNRM a révélé qu’elle ne remplit pas pleinement son rôle de coordination et de coopération en tant que chef de file au sein du réseau national des bibliothèques. A ce titre, il a été constaté que la BNRM n’a, à ce jour, entrepris aucune initiative pour assurer le contrôle de la normalisation bibliographique, aussi pour mettre en œuvre, à l’échelle nationale, des programmes de traitement, de sauvegarde et de diffusion du patrimoine manuscrit à travers des projets d’informatisation et de numérisation des bibliothèques, et en plus pour organiser des programmes de formation visant à mettre à niveau le personnel de ces bibliothèques.

En outre, la BNRM ne participe pas à l’activité scientifique nationale et internationale, et n’a pas élaboré des programmes de recherche en relation avec ses missions et avec le patrimoine documentaire dont elle a la charge. Le volume des collections de la BNRM est assez modeste par rapport aux bibliothèques nationales d’autres pays, comme la France, la Turquie, l’Algérie et la Tunisie. 

Très faible volume des fichiers d’autorité élaborés, aussi...  Le nombre de ces fichiers créés par la BNRM demeure limité (50 seulement) alors qu’il a été prévu lors de l’installation du système d’information "VIRTUA" que l’attributaire du marché procédera à l’importation de 2.500 fichiers d’autorité relatifs au Maroc de la base de la Bibliothèque Nationale de France (BNF). De plus, le système "VIRTUA" comporte une fonctionnalité relative à l’élaboration des fichiers d’autorité, mais elle n’a toujours pas été activée. 

Il a également été constaté que le taux de catalogage des différentes collections de la bibliothèque reste faible, ne dépassant pas 21% du total des collections (128.011 notices sur 600.000 total collections).  Les catalogueurs créent des notices bibliographiques et les insèrent directement dans la base des données "VIRTUA", sans contrôle ni validation.

De la Cour des comptes à la cour tout court, peut-être alors…

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