Plus sultaniens que le Sultan…, par Taoufiq Bouachrine

Plus sultaniens que le Sultan…, par Taoufiq Bouachrine

Ecoutons le grand intellectuel Abdallah Laroui, dans le tome IV de ses Mémoires : « Allal el Fassi n’embrassait pas la main du roi, alors que Mhamed Boucetta le faisait… On remarquera également qu’el Youssoufi ne se pliait pas non plus à cette tradition, alors que des ministres plus jeunes l’embrassent des deux côtés. Avec le durcissement de la concurrence,  l’esprit makhzénien se nourrit de la relève des générations ».

Petite observation d’un grand historien, qui requiert que nous nous y arrêtions quelques instants, sans offenser cette armée de gens qui campent aux portes du temple, en « gardiens du makhzénisme » parfois par peur et souvent par cupidité

Cette remarque de Laroui pourrait être appliquée à Benkirane et ses ministres, à ceux qui les ont précédés et aussi à ceux qui leur succéderont... J’observe les agissements de certains jeunes ministres de ce gouvernement, et d’autres avant, et je constate que la plupart d’entre eux se réclament d’un discours royal à chaque fois qu’ils ouvrent la bouche, même sans occasion particulière de le faire… Souvent, ces ministres s’attirent les railleries, voire la pitié, des observateurs… Et voilà que notre ministre de la Communication Mustapha el Khalfi a inventé cette pratique consistant à adresser un message d’allégeance et de loyauté au roi à la fin de la cérémonie annuelle de remise de prix à la presse.

J’ai alors questionné certains personnes au fait des secrets et des coulisses du palais : « Quelqu’un a-t-il demandé à el Khalfi de faire cela ? ». Réponse : « Non, absolument pas, le geste est une initiative personnelle du ministre ». Commentaire : « Il s’agit donc d’une interprétation individuelle de la constitution, d’une conception personnelle du ministre qui fait du roi un personnage sacré sans lequel rien ne saurait être fait, tant sur le plan religieux que politique ou encore économique. Cela nous éloigne d’autant de ce monarque constitutionnel et moderne qui se soumet à la Loi fondamentale et aux critères contemporains de l’exercice du pouvoir ».

Et donc, la question de pose de savoir dans quelle direction va le pays, vers le passé ou plutôt vers l’avenir ? Si le roi a demandé aux poètes de ne point chanter ses louanges et de les réserver au Prophète Mohammed, et si Mohammed VI a volontairement demandé la suppression de la mention de sacralité dans la constitution, alors pourquoi les uns et les autres se montrent-ils plus sultaniens que le sultan ?

La question demeure cependant sur la manière et la posture dans lesquelles se présentent les élites politiques au palais… Tous ces personnages estiment que le port de la chéchia rouge, que le baise main et que les apparences de la soumission totale sont les conditionssine qua none de leur entrée dans le monde...

de l’autorité, de leur accession aux fonctions de responsabilité et de la pérennité de leur existence à l’ombre du pouvoir…

Comment et pourquoi les vieux peuvent-ils se montrer plus modernes, plus progressistes, plus ouverts et plus dans leur époque que les jeunes d’aujourd’hui, ceux qui sont toujours sur internet, ceux qui se réclament de la modernité ? Ce comportement ne saurait être uniquement culturel… je m’interroge sur le secret de cela et les ressorts de l’amour du pouvoir et de l’attrait de la puissance…

Il est tout à fait légitime que les jeunes aient des ambitions politiques, matérielles et symboliques. Il est également entièrement du droit des jeunes et des moins jeunes d’aspirer à occuper des fonctions d’autorité car elle permettent de changer les choses, d’agir sur les événements, d’avoir de l’influence, d’atteindre la célébrité et d’engranger des avantages matériels… la seule condition est qu’il existe des fondamentaux et des règles de bonne conduite, qui se résument en un seule expression qui est l’intérêt général ; mais il y a aussi le mérite, la compétence, le respect des urnes et de leurs verdicts et aussi la corrélation entre responsabilité et reddition des comptes. Une fois tous ces critères assurés, on peut s’atteler aux bénéfices personnels : argent, prestige, notoriété, considération…

Elle est ainsi la pratique politique et affabulateurs seraient tous ceux qui penseraient ou diraient que les politiques n’exercent leur activité que pour la beauté du geste et l’intérêt général, faisant fi de leurs egos personnels. Cela serait utopie et l’utopie n’existe que dans l’esprit de Thomas More... Celle ou celui qui est ministre, parlementaire ou édile, travaille pour le bien public mais aussi pour son avantage personnel. Le mal serait de classer et mal classer les priorités entre les deux intérêts, général et particulier. On atteint le second en passant par le premier et, en cas de conflit entre les deux, c’est l’intérêt général qui doit primer.

Et puis, une ambition politique de nos jours doit épouser les formes et les contraintes contemporaines en cela qu’avancer dans l’échelle du pouvoir doit se faire sur les pieds et non sur les ventres…

Les Mémoires de Laroui comportent moult indications et éclairages sur les moyens de moderniser notre système politique et supprimer les tares qui ont retardé voire freiné ce pays des siècles durant. Le penseur prospecte donc la relation du roi à la tradition, le rapport des Marocains à la citoyenneté, les liens des partis avec la constitution, le regard porté ici sur ailleurs…

Rappelons encore une fois cette sentence faite par Laroui dans le Tome I de ses Mémoires : « L’ennemi de l’homme politique est l’historien, et même l’historiographe, car il se rappelle et il rappelle »…

Akhbar Alyoum

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