(Billet 1022) – Lettre à Nizar Baraka

(Billet 1022) – Lettre à Nizar Baraka

Monsieur Baraka,

Vous venez d’être réélu pour un second mandat au secrétariat général du parti de l’Istiqlal, et soyez-en chaleureusement félicité. Votre travail, votre assiduité, votre silencieuse endurance, votre sens de l’organisation ont permis à ce parti de conquérir la 3ème place sur l’échiquier politique du pays ; l’Istiqlal est membre de la coalition aujourd’hui aux affaires et vous-même, et vos pairs ministres de votre parti, réussissez de remarquables réalisations.

Vous avez été réélu au terme d’une lutte homérique contre le clan adverse qui fut jadis votre allié contraint avant de devenir un adversaire coriace. En 2017, votre élection avait eu plus de panache, ayant été acquise au terme d’un bras de fer et de quelques combats aux barres de fer avec les partisans de l’Ex, Hamid Chabat, et malgré quelques assiettes et noms d’oiseaux qui avaient volé. Mais cela a créé une rude dépendance à l’égard de vos ci-devant alliés, devenus aujourd’hui vos compétiteurs, courant après les faveurs et cherchant les honneurs et au détriment de l’honneur.

Comme on dit chez nous au Maroc, votre premier mandat, mel khayma khrej mayel, le rapport de forces n’ayant pas été en votre faveur, dès le départ. En politique, quand on décèle une faiblesse, on tape, et c’est exactement ce qu’a fait ce clan quatre années durant, puis les deux ans et demi de prolongement de votre mandat, et il a continué de le faire durant ce dernier congrès, et rien ne peut laisser supposer qu’il cessera de taper.

Monsieur le Secrétaire général,

En dépit de tout cela, vous avez écoulé ces quatre premières années à refaire de votre parti un parti de gouvernement puis, une fois au gouvernement, vous avez passé les deux années suivantes à remplir vos missions gouvernementales et aussi à composer avec le clan d'en face. Mais les membres et les chefs de ce clan en veulent toujours plus, souhaitent contrôler le parti à travers ses grandes instances, comité exécutif et conseil national. Il n’y a aucun mal à être ambitieux et encore mois à vouloir que son clan conquière des positions, mais encore faudrait-il que ce clan, en plus de proposer des noms et des profils, avance des idées, défende des valeurs et porte des projets. Las… nous sommes face à une lutte d’égos, à un télescopage des ambitions et à des postures d’intérêts bien compris, comprenant l’argent.

Monsieur le Secrétaire général

A considérer le comité exécutif sortant et la liste des candidats du comité exécutif entrant, on comprend pourquoi vous n’avez pu obtenir de consensus pour annoncer la formation de cette instance dirigeante dans la foulée et le week-end ; trop d’ambitions et trop peu d’engagement sincère. Reporter cette annonce sine die relègue le prestigieux parti de l’Istiqlal au rang d’un vulgaire parti de l’administration qui n’aurait même pas réussi !

il est triste de constater qu’en observant les membres de ce comité exécutif sortant, on distingue celui qui a été condamné et attend d’être un jour incarcéré, celui qui gifle un député, celui qui aurait entretenu une coupable relation avec une femme du parti, celui qui se serait enrichi, côtoyant celui qui veut s’enrichir, celui...

qui porte le nom de sa tribu et veut le porter haut et celui qui observe un profil bas car se sachant condamnable et condamné, celui qui a pris de l’argent du parti indûment et qui par la suite, interrogé sur la question, ment… Bref, vous savez, M. Baraka, et nous savons que les créatures peuplant le comité exécutif sont d’une autre trempe que les hommes et femmes qui y siégeaient d’antan, dans une sorte de malsaine gentrification.

A l’ouverture du congrès, Mhamed Douiri, presque centenaire, était là, Abbas el Fassi s’est excusé pour raisons de santé, mais où étaient les autres anciens membres dirigeants du parti de l’Istiqlal ? Pourquoi un homme comme Moulay Mhamed el Khalifa était-il absent, alors que voici quelques semaines encore, il conférait à une rencontre du PJD sur la Moudawana ? On peut certes contester ses idées, mais pas sa personne. Si le parti d’aujourd’hui doit laisser ses anciens dirigeants s’en aller, alors qu’il change de nom, de positions et qu’il fasse une cure de jouvence car ceux d’aujourd’hui ne sauraient ni pourraient porter les valeurs de naguère. Dans le cas contraire, que l’Istiqlal reste Istiqlal, que ses anciens chefs qui sont son âme actuelle soient sollicités et honorés car sans leur onction, le parti se vide, se meurt.

Monsieur le Secrétaire général,

Evoquant Allal el Fassi, , quelqu’un avait dit un jour qu’ « aux tentatives de division et de déstabilisation, il a opposé l’apaisement, le dialogue et la persévérance de l’action en faveur d’une reforme structurante et systémique du pays [ou du parti, NDLA] ». Savez-vous qui était ce « quelqu’un » ? Vous, dans l’ouvrage consacré à la pensée et à l’œuvre de votre illustre grand-père et prédécesseur*.

Aujourd’hui, le parti de l’Istiqlal n’a plus ni l’envergure, ni la renommée et encore moins la puissance qu’il connut jusqu’en 2012. Il est vrai que c’était un autre temps et bien évidemment d’autres mœurs. Il vous appartient à vous, héritier de la lignée que vous savez et que chacun sait, de relever le défi consistant à relever le parti. Allal el Fassi avait professé cette pensée : « Si j’œuvre pour réaliser ce en quoi j’ai foi, ceci est par lui-même une réussite ».

Monsieur le Secrétaire général,

Le 18ème congrès ne vous a pas reconduit uniquement parce que vous étiez seul candidat, mais parce que vous êtes encore le seul qui dispose simultanément de la compétence requise et de l’expérience acquise, de la légitimité politique et de l’efficacité technocratique. Les membres de votre parti vous ont réélu car ils savent « en quoi vous avez foi ».

Alors quels que soient les aléas et même les risques, qu’importent les difficultés et surtout le contexte politique, il est primordial que dans la course pour 2026, vous œuvriez pour vos convictions, vous résistiez aux pressions (et aux instructions), vous usiez de la force tranquille que les membres de votre parti vous reconnaissent… et cela sera une réussite. Si, pour des raisons internes, externes ou même techniques, cette réussite n’est pas électorale, alors elle sera assurément morale.

Aziz Boucetta

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*  « Allal El Fassi », Said Bensaid Alaoui, Centre culturel du livre, 2020.